HISTORIENS FRANÇAIS DE LA RESTAURATION. Thierry, Guizot, Mignet sont des historiens bourgeois de l’époque de la Restauration. Leur mérite est d’avoir dépassé les matérialistes français du XVIIIe siècle dans la compréhension des lois de l’histoire.
Ils soutiennent que l’histoire du féodalisme et de la formation de la société bourgeoise est celle de la lutte du tiers état (majorité de la nation) contre la noblesse et le clergé (sa minorité). Non satisfaits de la théorie des matérialistes français, selon laquelle la vie sociale serait déterminée par les institutions politiques, Guizot, Mignet et Thierry tentent de prouver que ces dernières sont conditionnées par le mode de vie social, que la lutte de classe a pour origine les rapports de propriété.
Dans « Dix ans d’études historiques » Thierry considère la lutte religieuse entre les presbytériens et les catholiques comme une lutte de partis politiques pour les intérêts matériels de différentes classes. Cette lutte, selon Thierry, était déterminée par les « intérêts positifs » des classes. Dans ses « Essais sur l’histoire de France » Guizot, analysant l’époque qui suivit la chute de l’Empire romain, affirme qu’à la base de l’histoire se trouvent les rapports fonciers. Mignet, analysant dans son « Histoire de la Révolution française » les causes de la Révolution de 1781), conclut qu’elles résident dans les intérêts matériels des différentes classes.
Les historiens français réduisaient la vie sociale aux rapports de propriété sans avoir aucune idée des forces productives et des rapports de production, base des rapports juridiques de propriété. Dans la question de l’origine des classes, ils professaient la théorie idéaliste de la conquête, qu’ils considéraient comme la force décisive du développement social, sans comprendre que l’origine et l’existence des classes sont liées à un mode de production déterminé. Ainsi, Thierry explique la formation des classes féodales par la victoire des Germains sur les Gallo-Romains.
Les conquérants auraient constitué l’aristocratie féodale, et les vaincus, le tiers état. La lutte de la bourgeoisie contre l’aristocratie féodale serait celle de la population autochtone contre les descendants des vainqueurs. Mignet, ignorant les causes de la naissance, de l’évolution et de la disparition des formes des rapports de propriété, donc des classes elles-mêmes, explique les rapports de propriété par des conquêtes, et celles-ci, par la tendance à la domination, propre, croyait-il, à la nature humaine.
En fin de compte, les historiens de la Restauration ont gardé des positions idéalistes. Dans son « Histoire générale de la civilisation en Europe », Guizot déclare qu’en dernière instance la conduite des hommes est déterminée par une « idée pure ». « Quels que soient les événements extérieurs, écrit Guizot, c’est l’homme lui-même qui fait le monde ; c’est en raison des idées, des sentiments, des dispositions morales et intellectuelles de l’homme, que le monde se règle et marche ; c’est de l’état intérieur de l’homme que dépend l’état visible de la société. »
Idéologues de la bourgeoisie libérale, les historiens de la Restauration comprenaient le caractère inévitable de la lutte de la bourgeoisie contre le féodalisme et reconnaissaient au tiers état le droit d’abolir la domination de la noblesse et du clergé.
Mais ils niaient l’existence de contradictions au sein du tiers état qu’ils identifiaient avec le peuple tout entier. Tout en admettant le caractère progressif de la lutte de classes dans le passé, ils en niaient la nécessité sous la domination de la bourgeoisie, l’appelaient une « folie », prônaient la paix entre les classes, l’éternité du capitalisme et de la division de la société en classes.
De propos délibéré, ils estompaient les contradictions de classe. Dans sa lettre à Engels du 27 juillet 1854, Marx écrivait : « Un livre qui m’intéresse beaucoup, c’est : Thierry, « Histoire de la formation et du progrès du tiers état », 1853. Ce qu’il y a de curieux, c’est que ce père de la « lutte des classes » dans l’historiographie française s’emporte, dans sa préface, contre les « modernes » qui voient actuellement un antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat et veulent découvrir des traces de cette antinomie dans l’histoire même du tiers état jusqu’en 1789.
Il se donne beaucoup de mal pour démontrer que le tiers état englobait tous les états autres que la noblesse et le clergé, et que la bourgeoisie joue son rôle comme représentant de tous ces autres éléments » (Marx-Engels : Ausgewählte Briefe, B. 1953, S. 105).
Après la révolution de 1830, les historiens de la Restauration se firent les défenseurs déclarés de l’ordre bourgeois. Pendant la révolution de 1848, Guizot fut le bourreau de la classe ouvrière.
HISTORISME, METHODE HISTORIQUE. Etude des objets, des phénomènes et des événements au point de vue de leur apparition et de leur développement, en liaison avec les conditions historiques concrètes qui les ont engendrés. La méthode
dialectique marxiste de l’histoire considère les phénomènes sous l’angle de leur connexion interne et de leur action réciproque.
Il n’est pas dans le monde de faits isolés ; chaque phénomène est lié à un autre. C’est pourquoi on ne peut comprendre un phénomène qu’en l’abordant historiquement, en analysant la situation concrète à laquelle ce phénomène se rattache.
Le principe marxiste de l’historisme n’a rien de commun avec la substitution de schémas abstraits coupés de la vie, à l’étude de l’histoire concrète. La méthode marxiste exclut toute mutilation de la réalité, toute interprétation tendancieuse du passé détaché des conditions historiques.
Dans sa décision du 14 novembre 1938 « Sur l’organisation de la propagande du parti à l’occasion de la publication du « Précis d’Histoire du P.C.(b) de l’U.R.S.S. », le Comité Central du P.C.(b) de l’U.R.S.S. dénonce le caractère antimarxiste de l’« école» historique de Pokrovski : « Jusqu’à ces temps derniers, les déformations et la vulgarisation antimarxistes dans la science historique étaient liées à ce qu’on appelle l’« école » de Pokrovski, qui faussait l’interprétation des faits historiques et, contrairement aux principes du matérialisme historique, les expliquait du point de vue de l’actualité, et non du point de vue des conditions dans lesquelles les événements s’étaient déroulés, ce qui défigurait l’histoire réelle. »
Tous les ouvrages des grands guides du prolétariat — Marx, Engels, Lénine et Staline — ainsi que les décisions du Parti communiste de l’Union Soviétique sont des modèles d’application de la méthode historique.
La sociologie bourgeoise est antihistorique, métaphysique par sa nature même. Les écoles sociologiques bourgeoises, néo- kantienne (V. Néo-kantisme) et autres, nient le principe de l’historisme, les lois objectives du développement de la société humaine.
L’hostilité de la sociologie bourgeoise envers l’historisme est due à l’effroi que lui inspirent la vérité historique, l’étude objective du passé et du présent, car une telle étude prouve incontestablement que la société capitaliste a historiquement un caractère transitoire. (V. également Connexion et interaction des phénomènes ; Dogme, dogmatisme.)