HAECKEL Ernst (1834-1919). Grand naturaliste allemand, l’un des représentants les plus marquants du darwinisme ; il a développé et concrétisé la doctrine évolutionniste de Darwin (V.) par ses recherches (« Anthropogénie ou Histoire de l’Evolution humaine », « Morphologie générale des organismes » et autres).
Dans ses ouvrages, notamment dans ses « Enigmes de l’Univers », il soumet à une critique implacable l’idéalisme et le cléricalisme et s’efforce de créer un système matérialiste harmonieux, fondé sur les acquisitions les plus récentes de la science.
Il est vrai qu’il n’a pas toujours été conséquent dans sa lutte antireligieuse, mais durant la crise qui ébranla les sciences de la nature, quand de nombreux savants tournaient à l’idéalisme et à la religion, Haeckel fut du nombre des savants d’avant-garde qui défendirent avec acharnement le matérialisme des sciences de la nature (V.), luttèrent contre le machisme (V.), le néo-kantisme (V.) et autres courants philosophiques réactionnaires, idéalistes et agnosticistes, dans les sciences naturelles. Toutefois, il n’a pas su s’élever jusqu’au matérialisme dialectique qui seul permet de vaincre théoriquement, dans ce domaine, l’idéalisme et la religion.
En 1906, Haeckel fonda « l’Union des monistes » qui avait pour but la propagande de l’athéisme. Sa lutte franche et courageuse pour une science d’avant-garde et une conception matérialiste du monde a dressé contre lui la réaction bourgeoise et cléricale en Allemagne et à l’étranger.
Haeckel subit des brimades et des persécutions. « La tempête soulevée dans les pays civilisés par les « Enigmes de l’Univers » de Haeckel, écrit Lénine dans « Matérialisme et empiriocriticisme », a fait ressortir avec un singulier relief l’esprit de parti en philosophie dans la société contemporaine d’une part et, de l’autre, la véritable portée sociale de la lutte du matérialisme contre l’idéalisme et l’agnosticisme » (M. 1952, p. 407).
Haeckel exprimait les tendances matérialistes indécises de la plupart des naturalistes de la fin du XIXe et du commencement du XXe siècle, leur matérialisme spontané. De plus, Haeckel, de même que de nombreux autres savants favorables aux idées matérialistes, n’avait pas le courage de s’appeler un matérialiste, il payait la rançon du temps, était tributaire du « préjugé dominant des philistins contre le matérialisme » (Ibid., p. 408).
Ses conceptions sur la matière sont entachées d’hylozoïsme, il reconnaît l’animation universelle de la matière. De même que tous les matérialistes bourgeois, il restait idéaliste dans les questions sociales. Il transposa dans le domaine social la loi de la lutte pour la vie, formulée par Darwin ; il s’affirma social-darwiniste et propagandiste des idées réactionnaires du racisme (V.).
HASARD. V. Nécessité et hasard.
HEGEL Georg Wilhelm Friedrich (1770-1831). Grand philosophe allemand, qui joua un rôle considérable dans l’élaboration de la théorie dialectique du développement. Sa philosophie était idéaliste. Suivant son idéalisme « objectif » (ou absolu), une certaine « Idée absolue » mystique, préexistante à la nature et à l’homme, constitue le fondement du monde. De par son essence, c’est un principe actif, mais son activité ne peut s’exprimer que dans la pensée, dans la connaissance de soi.
L’« Idée absolue » implique des contradictions internes, elle se meut et change, se transformant en son contraire. Au cours de son développement dialectique, l’« Idée » passe par trois phases principales. La première est la phase logique, antérieure au monde, où l’« Idée absolue » opère encore dans l’« élément de la pensée pure ». L’« Idée absolue » se manifeste alors comme un système de concepts et de catégories logiques, comme un système de logique. Cette partie de la philosophie est exposée dans la « Science de la Logique ».
Dans la seconde phase, l’« Idée » se métamorphose en nature, celle-ci étant l’ « incarnation de l’Idée absolue ». Hegel expose celte théorie dans sa « Philosophie de la nature ». La nature ne se développe pas dans le temps, mais seulement dans l’espace. Dans sa « Philosophie de l’esprit», Hegel révèle la phase supérieure, la troisième de l’évolution de l’Idée : celle de l’« Esprit absolu ».
L’« Idée absolue » nie alors la nature et revient à elle-même, et de nouveau le devenir se poursuit dans le domaine de la pensée, mais de la pensée humaine désormais. C’est à cette phase que Hegel rapporte le stade de la conscience individuelle, celui de la conscience sociale, et enfin le stade suprême, où l’Idée, sous forme de religion, d’art et de philosophe, arrive au terme de la connaissance de soi. Hegel fait de la philosophie la « connaissance absolue ».
Il considère sa propre philosophie comme l’apogée du développement de l’Idée. Tel est, en bref, le système philosophique idéaliste de Hegel. L’« Absolu », l’« Esprit absolu», ou l’« Idée absolue » de Hegel, ce n’est rien d’autre qu’une nouvelle dénomination de Dieu. Hegel détache la conscience humaine de la nature, il la personnifie, la déifie et lui fait engendrer, en se développant, la nature, la société, l’homme, etc.
En réalité, il n’y a pas et il ne peut y avoir d’Idée existant indépendamment de l’homme, du cerveau humain. Ce qui évolue, c’est la nature, la société ; et le développement de l’Idée n’est que le reflet du développement de la réalité objective. Ainsi, tout le fondement de la philosophie de Hegel est erroné, antiscientifique.
Ce qu’il y a de précieux dans la philosophie idéaliste de Hegel, c’est sa méthode dialectique : le développement a pour source la lutte des contraires, et s’effectue par le passage des changements quantitatifs à des changements qualitatifs, la vérité est concrète, etc. Lénine considérait la dialectique de Hegel comme une grande acquisition de la philosophie allemande. C’est grâce à sa dialectique que la philosophie de Hegel comme celle d’autres philosophes allemands de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle devint une des sources théoriques du marxisme.
Ce qui est typique de la philosophie hégélienne, c’est une contradiction profonde entre sa méthode dialectique et son système métaphysique. La méthode dialectique affirme que le processus de la connaissance est infini, or Hegel proclame que sa philosophie est le terme de tout développement, est une vérité définitive. La méthode dialectique part de ce point de vue que tout change et évolue ; or, le système métaphysique représente la nature comme quelque chose de figé, qui ne change pas, qui est donné une fois pour toutes.
Selon la dialectique, la société ne s’arrête jamais dans son progrès ; or, Hegel, abandonnant la dialectique, préconise un compromis entre le féodalisme agonisant et le capitalisme naissant, et proclame que la monarchie féodale prussienne, quelque peu réformée par une constitution, est le terme suprême du développement social.
La dialectique de Hegel est tournée vers le passé, et non vers le présent et l’avenir. Hegel craignait de tirer les conclusions de sa propre doctrine selon laquelle la contradiction constitue le moteur du devenir. Chez lui, la lutte des contraires n’atteint pas son aboutissement logique, ne va pas jusqu’à la victoire du nouveau, du progressif sur l’ancien, le périmé ; Hegel neutralise, concilie les contraires en s’ingéniant à estomper la lutte aiguë qui se déroule au sein de la société divisée en classes antagoniques.
Les fondateurs du matérialisme dialectique, Marx et Engels, ne pouvaient adopter la dialectique de Hegel telle quelle. Ils la remanièrent du point de vue matérialiste et la remirent sur ses pieds. Ils n’en utilisèrent que le noyau rationnel : la théorie du développement et du changement, du passage des changements quantitatifs aux changements qualitatifs, etc., après en avoir rejeté l’écorce idéaliste.
Marx et Engels créèrent une nouvelle méthode dialectique, qui repose sur la base scientifique inébranlable de la philosophie matérialiste. Marx écrivait : « Ma méthode dialectique, non seulement diffère de la méthode hégélienne par la base; mais elle en est même l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’Idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est que la forme phénoménale de l’Idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme » (« Le Capital », t. I, postface à la 2e édition allemande).
Les vues sociales et politiques de Hegel marquent une réaction aristocratique à la Révolution française. Tout en reconnaissant la nécessité de moderniser dans le sens bourgeois les rapports féodaux surannés, il ne souhaitait pas un changement radical du régime féodal en Allemagne. « Hegel, écrivait Marx, veut un système de cafte médiéval, mais au sens moderne d’un pouvoir législatif, et il veut un pouvoir législatif moderne, mais dans l’enveloppe d’un système de caste médiéval. C’est un syncrétisme de la pire espèce » (Marx/Engels : Gesamtausgabe, Erste Abteilung, Bd. I, Erster Halbband, Frankfurt a. M. 1927, S. 515).
Hegel parlait avec haine et mépris des masses populaires comme d’une force aveugle. Il exaltait l’Allemagne, incarnation de l’« esprit du monde nouveau » ; quant aux peuples slaves, il leur assignait le rôle de peuples « non historiques » ; il faisait de la guerre un phénomène éternel, nécessaire à la vie de la société, etc. Les fascistes allemands exploitaient ces vues réactionnaires de Hegel pour la propagande en faveur du racisme et de l’hégémonie mondiale de l’Allemagne.
Les classiques du marxisme ont soumis à une cinglante critique la philosophie idéaliste de Hegel. Ils ont utilisé avec esprit critique les éléments précieux de sa méthode dialectique et ont créé et développé le matérialisme dialectique et historique, la seule philosophie scientifique.
En 1944, le Comité Central du Parti communiste de l’Union Soviétique a condamné sévèrement les insuffisances et les erreurs du troisième tome de l’« Histoire de la philosophie », où se trouvait estompée la différence radicale entre la dialectique hégélienne et la dialectique marxiste, différence qui exprime l’opposition entre la conception du monde bourgeoise et la conception du monde prolétarienne ; il a condamné la manière non critique d’exposer la philosophie hégélienne en général.
Ouvrages principaux de Hegel : « Phénoménologie de l’esprit » (1807), « Science de la Logique» (1812-1816), « Encyclopédie des sciences philosophiques » (« Logique », « Philosophie de la nature », « Philosophie de l’esprit ») (1817), « Philosophie du droit » (1821). Publications posthumes : « Leçons sur l’histoire de la philosophie» (1833-1836), « Philosophie de l’histoire » (1837), « Leçons sur l’esthétique ou la philosophie de l’art » (1836-1838).
HEGELIENS DE GAUCHE. V. Jeunes-hégéliens.
HELVETIUS Claude Adrien (1715-1771). Célèbre représentant du matérialisme et de l’athéisme français du XVIIIe siècle, un des précurseurs idéologiques de la révolution bourgeoise en France. Il affirme hautement que seuls les objets matériels ont une existence réelle ; toutes les idées du cerveau humain sont dérivées de la réalité matérielle. Il tourne en dérision le dogme religieux de l’immortalité de l’âme et déclare que la vie psychique de l’homme dépend de sa structure corporelle. Dans la théorie de la connaissance, il professe le sensualisme (V.) matérialiste: tout ce qui est inaccessible aux sens, l’est aussi à l’esprit.
Les sensations sont provoquées par l’action, sur nos sens, des objets et des phénomènes du monde extérieur qui existe dans l’espace et dans le temps. Helvétius reconnaît la véracité de nos perceptions. A l’égal des autres matérialistes français, il est ennemi de l’agnosticisme. Athée militant, il déclare que l’origine de la croyance en Dieu réside dans l’ignorance des uns et la fourberie des autres. Il voit un lien direct entre la religion et la tyrannie. Mais le matérialisme d’Helvétius est mécaniste et métaphysique. Les conditions historiques l’empêchèrent de comprendre le rôle immense de la pratique révolutionnaire.
Helvétius se proposait d’appliquer le principe matérialiste à l’étude de la vie sociale, mais, comme tous les matérialistes antérieurs à Marx, il avait une vue idéaliste de l’histoire. Il déclarait que l’homme est un produit de l’ambiance et que son caractère, loin d’être inné, est conditionné par l’expérience et l’entourage. C’était un point de départ matérialiste. L’idée que l’ambiance et les institutions politiques exercent une influence décisive sur la formation du caractère de l’homme, marquait un progrès.
De là, nécessité de changer l’ambiance, la société, les rapports féodaux, ce qui est une conclusion révolutionnaire. « Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former les circonstances humainement » (Marx/Engels : Gesamtausgabe, Erste Abteilung, Bd. 3, B. 1932, S. 307-308).
Les vues progressives des matérialistes français sur la société exercèrent une influence sur les socialistes utopistes du début du XIXe siècle. Helvétius prétendait que l’ambiance sociale est créée par la législation existante, ce qui est une démarche idéaliste. « Les Lois font tout », déclare-t-il. Quant à la législation, elle est déterminée par les idées qui règnent dans la société. Helvétius divise les idées en utiles, nuisibles et indifférentes.
Les hommes agissent conformément aux idées qui leur sont utiles, avantageuses. Le monde spirituel est soumis à la loi de l’intérêt. Les hommes sont égoïstes de par leur nature. Mais chaque individu est intéressé à tenir compte des besoins sociaux, à suivre le principe de l’égoïsme rationnel, à agir selon les exigences de l’Etat, du peuple. Les défauts moraux proviennent d’une législation vicieuse.
L’explication idéaliste de la société humaine le conduit à cette conclusion : « C’est l’opinion qui gouverne le monde. » Le changement de l’ambiance ne signifie chez Helvétius que la substitution du régime bourgeois à l’ordre féodal.
Le bourgeois prospère, guidé par le principe de l’avantage personnel, prêt à contribuer au bien social, mais jamais au détriment de ses propres intérêts, — tel est son idéal. Helvétius défend le principe de la propriété privée et s’oppose seulement à la répartition trop inégale des richesses. Cependant, sa critique du régime politique et de la législation de la société féodale présente, pour son époque, un caractère progressif.
L’ouvrage principal de Helvétius, « De l’esprit » (1758), se classe parmi les meilleures œuvres de la philosophie athéiste du XVIIIe siècle, hautement appréciées de Lénine. Ce livre est un défi à la religion et à l’idéalisme. D’après Diderot, « c’est un furieux coup de massue porté sur les préjugés en tout genre ».
La réaction condamna le livre au bûcher parce qu’il violait « les assises de la foi chrétienne ». Un autre ouvrage matérialiste et athéiste d’Helvétius « De l’homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation » fut publié en 1773, après sa mort.
Les philosophes réactionnaires français d’aujourd’hui s’élèvent contre les idées progressives de Helvétius. Dans sa lutte contre l’obscurantisme idéaliste, le Parti communiste français souligne la portée des traditions matérialistes de Helvétius et des autres matérialistes du XVIIIe siècle.