Le problème palestinien a été créé après la première guerre mondiale par les États colonialistes qui se sont emparés d’une partie de la terre arabe et y ont installé une population étrangère, de manière à contrôler ce carrefour stratégique. Ces visées colonialistes rejoignaient celles des sionistes. Ils ont donc trouvé dans le sionisme un allié idéal. Le territoire palestinien fut placé sous mandat britannique et des mesures furent prises pour y installer un État national juif.
Les pays voisins — Liban, Syrie, Trans-Jordanie, Irak, Egypte — étant eux-mêmes sous mandat britannique ou français, les Arabes de Palestine se trouvèrent isolés (…)
La politique adoptée par les colonialistes anglais et français dans le domaine de l’enseignement a contribué, de son côté, à rompre l’unité culturelle arabe. Il en fut de même dans le domaine économique, les occupants s’étant attachés à intégrer l’économie de la région qu’ils contrôlaient dans l’empire colonial. C’est ainsi que chacun des pays du monde arabe a développé une économie indépendante du reste de la région, réduisant à néant la complémentarité existant auparavant.
En Palestine, une entité régionale politique et économique, isolée du reste de la patrie arabe, a été constituée. Toutes les conditions étaient ainsi réunies pour la création d’un État sioniste.
La Révolution et les peuples arabes
En tant que partie intégrante de la révolution arabe, la révolution palestinienne, par sa vitalité, son efficacité et l’absence de déviation idéologique qui la caractérise, est un modèle de lutte nationale de libération. (…)
La révolution palestinienne apparaît comme totalement différente des révolutions arabes, car elle ne saurait séparer libération politique et libération économique et sociale. Elle se situe à avant-garde. (…)
Il faudra procéder graduellement, par étapes, en commençant par unifier l’action de toutes les forces patriotiques dans les régions voisines de la Palestine — plus sensibilisées que les autres au problème —, pour passer ensuite aux autres régions et finir par celles qui n’ont pas de contact direct avec la pratique révolutionnaire de Faction armée.
Les directions politiques qui ne se sont préoccupées jusqu’ici que de leurs problèmes locaux, ignorant les liens qui les rattachent aux autres régions arabes, devront s’employer à mobiliser toutes leurs ressources pour les mettre au service de la Révolution arabe dont l’expression vivante est la Révolution palestinienne.
Étant donné les conditions dans lesquelles elle se développe, la Révolution palestinienne ne peut être accomplie sur un plan purement régional, en raison de la nature des liens politiques, sociaux et économiques qui la rattachent aux autres régions arabes, et à cause de la maturation idéologique qu’a subi, grâce à elle, la conscience arabe. La Révolution palestinienne — en ne s’attachant pas au seul espace local, et en élargissant ses institutions économiques et sociales propres — pourra s’insérer plus facilement dans les autres cadres sociaux arabes.
Elle deviendra nécessairement le ferment qui fera mûrir une situation révolutionnaire dans le monde arabe. Cette maturation permettra de dépasser toutes les structures idéologiques et doctrinales divisionnaires, les particularismes régionaux, les allégeances partisanes, les liens économiques divers et contradictoires tissés sur le plan international. On pourra unifier ainsi tous les aspects de l’activité humaine à l’échelle de la patrie arabe, et en rejeter tous les aspects négatifs, par la pratique de la lutte armée, instrument efficace de libération et de développement.
On peut, d’ores et déjà, observer au sein de la société arabe les premiers effets des transformations provoquées par l’existence et l’action de la révolution palestinienne. Le bouillonnement qui règne au niveau des masses, à l’échelle de la patrie arabe tout entière, influe directement sur les orientations politiques, les relations régionales et internationales.
Cette révolution a contribué dans une mesure importante à détourner l’esprit arabe des choses vaines, pour le mettre en contact direct avec la réalité. La politique des dirigeants arabes a toujours été définie devant
L’opinion en fonction du problème palestinien, mais le problème a souvent été utilise pour servir des intérêts particuliers (…). Dans ce contexte, le problème se trouvait vidé de son contenu et devenait l’objet de surenchères (…)
Aujourd’hui, la révolution palestinienne a pris son essor; une telle exploitation au service d’intérêts et d’objectifs particuliers, quels qu’ils soient, est devenue impossible. La révolution palestinienne, dirigée par son avant-garde, est maintenant seule responsable de ses affaires. Elle s’est employée à définir des relations sans équivoque avec les autres régions arabes.
En même temps, les aspirations des masses commencent à s’exprimer. Elles rejoignent la révolution palestinienne. Leur niveau de conscience s’élève. Elles passent du stade des slogans à celui de la participation active (…)
La relation dialectique entre la révolution palestinienne et la nation arabe doit nécessairement amener la révolution arabe à clarifier rapidement ses objectifs et son contenu social. (…) En dépit de son caractère régionaliste, la Révolution palestinienne constitue, en fait, le foyer de la révolte arabe contre des institutions économiques, idéologiques et politiques dépassées. Elle amorce un processus de bouleversement radical à l’échelle de la patrie arabe tout entière, conduisant à la destruction de cette aberration historique que constitue l’État d’Israël. (…)
L’ennemi sioniste proclamait son « droit » à occuper cette terre, à y établir des institutions politiques et économiques, faisant ligure de modèle de civilisation aux yeux de l’Occident et même de quelques pays progressistes. Sur la foi de cette propagande, et face à la carence arabe, comment l’opinion mondiale n’aurait-elle pas admis le droit de l’ennemi à conserver la terre qu’il avait spoliée, en ignorant le droit absolu des Arabes sur cette même terre ?
La Révolution crée de nouvelles valeurs
La Révolution palestinienne a fini par s’imposer. Dépassant les contradictions de la société arabe, franchissant les barrières politiques et idéologiques, défiant l’existence sioniste et proclamant son droit à une existence indépendante du peuple, elle a assumé la responsabilité d’informer l’opinion internationale de son caractère progressiste.
Ce faisant, elle a marqué un véritable tournant dans la vie arabe contemporaine ; grâce à la lutte armée, c’est la question arabe qui se pose en terme de libération.
La révolution palestinienne a mis fin à une ère de stagnation, créant un climat révolutionnaire qui doit permettre à la société arabe de passer d’une étape de faiblesse et d’incapacité à l’étape de la vérité et de la force. Ce qui permet l’abandon de la tactique défensive et son remplacement par une stratégie d’affrontement global avec l’ennemi sioniste (…)
Elle a choisi de prendre appui sur les masses pour faire aboutir le processus révolutionnaire à l’échelle de la patrie arabe (…) Elle s’est imposée après juin 67, assumant une politique indépendante et créant une direction autonome, contribuant ainsi à la formation de l’opinion arabe. (…) La défaite de juin a confirmé que la voie révolutionnaire suivie sous la direction du Fath était la bonne. Et la pensée arabe contemporaine s’est mise à l’école de la réalité. Elle s’est penchée sur les problèmes nouveaux qui sont apparus. (…)
La Révolution constitue le pivot de ce processus. Ses répercussions idéologiques, psychologiques et pratiques sur la réalité arabe ont contribué à la naissance d’une nouvelle conception de l’avenir arabe. Le lien entre la Révolution palestinienne et la Révolution arabe est un lien dialectique : il détermine une interaction réciproque et débouche sur une révolution globale. Et ce lien se renforce sans cesse, grâce à l’élimination des facteurs négatifs qui existent encore, et à la mise en valeur systématique des facteurs communs.
La Révolution palestinienne est aujourd’hui, dans le monde arabe, une force qui joue un rôle déterminant sur les plans politiques et militaires. Elle a révélé à tous la nature et l’ampleur du défi lancé à l’existence arabe. (…)
C’est pourquoi elle s’emploie à mobiliser par tous les moyens les masses arabes. Elle considère, en effet, que la libération de la Palestine doit, avant tout, s’appuyer sur ces masses. Cette stratégie implique la pratique d’une guerre, à la fois offensive et défensive, menée sur tous les fronts, y compris ceux de la politique et de l’économie, afin que l’initiative reste aux mains de la nation arabe.
Elle implique également que le peuple engage une lutte de tous les instants contre le sous-développement économique et social et contre la sclérose idéologique, afin d’abattre les institutions usées, de bâtir à leur place un appareil social, politique, économique et militaire révolutionnaire, répondant aux besoins des masses dans la phase actuelle du conflit et correspondant à la nature de la bataille engagée contre l’ennemi sioniste (…).
La Révolution palestinienne n’a pas à tenir compte de la sécurité régionale des États arabes voisins. Un tel souci est en contradiction avec la sécurité nationale arabe, il tend à consacrer la division actuelle des pays arabes, à limiter l’activité des résistants et, finalement, à entraver la marche du mouvement de libération.
Le concept de sécurité régionale est une duperie d’origine réactionnaire et colonialiste. Sous prétexte que la lutte palestinienne menace la souveraineté nationale et les pouvoirs établis, on veut empêcher, en fait, que se fasse la jonction entre les masses arabes et la Révolution palestinienne. Le Fath, avant-garde de la Révolution, pense que les masses arabes, qui sont les bénéficiaires de cette révolution, comprennent l’intérêt de préserver la sécurité au niveau arabe, car le mouvement de résistance représente à leurs yeux une vivante image de leurs espoirs et de leurs aspirations à l’unité et à la libération.
C’est pourquoi on a vu ces masses arabes se dresser, chaque fois qu’un danger menaçait la Révolution palestinienne, ou qu’un complot liquidateur était fomenté contre elle par les forces contre-révolutionnaires. Individuellement et collectivement, tous les obstacles étaient franchis pour venir au secours de cette révolution et pour s’y associer, sans parler de l’aide matérielle et morale considérable qui lui était apportée. (…)
Le mouvement des masses arabes a commencé à se développer et à prendre de l’ampleur, en dépit de tous les obstacles politiques et de toutes les entraves sociales et économiques. Il finira par entrer en contact direct avec la Révolution palestinienne.
(…) La politique expansionniste de l’ennemi contribue directement à donner à la révolution palestinienne un caractère national arabe. En occupant une partie des territoires avoisinant la Palestine, Israël a mis les masses de ces régions dans une situation identique à celle du peuple palestinien.
L’ennemi a même contraint, par ses brimades et ses agressions,des milieux arabes liés à l’Occident à s’engager dans la lutte ! Tenant compte de cette situation, la Révolution palestinienne a lancé le mot d’ordre de non-intervention dans les affaires intérieures des États arabes, tant que la sécurité de la Révolution serait garantie. En outre, par cette politique, la Révolution palestinienne entend montrer qu’elle ne saurait se substituer à la Révolution arabe dans ces régions. Ce sont les masses elles-mêmes qui doivent remplir leur rôle dans la bataille pour la libération.
La jonction des intérêts impérialistes avec les ambitions sionistes débouche sur une alliance stratégique contre la Nation arabe. Les rôles ont été répartis de la manière suivante :
— L’impérialisme mondial utilise Israël comme un moyen de pénétration dans les pays d’Asie et d’Afrique;
— Israël, « petit pays en voie de développement », aide les pays nouvellement indépendants, traite avec eux sur la base du libre-échange, de l’égalité et de la communauté des intérêts ;
— L’impérialisme mondial fournit à Israël une aide économique et des armes.
Il s’agit en effet pour l’impérialisme de protéger cette base de peuplement et d’assurer sa survie afin, d’une part, de lui permettre de poursuivre une politique expansionniste de nature à paralyser le développement du mouvement de libération arabe et, d’autre part, de préserver les positions et les intérêts impérialistes dans cette partie du monde.
En tant que « colonie de peuplement », Israël représente une expérience impérialiste pilote sur le plan mondial. Tandis que les bases militaires de l’impérialisme dans le monde arabe ont été évacuées, et que la plupart des anciennes colonies d’Asie et d’Afrique sont devenues indépendantes, les ressources naturelles commencent à manquer dans le monde capitaliste. C’est pourquoi, pour avoir accès aux richesses des anciennes colonies, une nouvelle technique a été mise au point : des « bases de peuplement » — dont Israël constitue le cas-type — sont implantées.
A partir de ces bases, une agression technologique est organisée dans le but d’ouvrir la voie à une reprise de l’exploitation des pays en voie de développement. Si l’on compare Israël aux pays en voie de développement, et même à certains pays occidentaux, on constate qu’il détient sur le plan technologique une avance considérable, qui ne tient évidemment ni au nombre de ses habitants ni à l’abondance de ses ressources naturelles. Cette avance lui permet d’exporter son expérience technique et technologique vers les pays en voie de développement.
Ces derniers seront donc amenés à ne plus compter sur leurs propres forces et à renoncer à exploiter eux-mêmes leurs richesses à un rythme correspondant au niveau atteint par leurs capacités techniques. Leur développement social ne sera pas en rapport avec leur développement économique. Les structures économiques et sociales s’en trouveront affaiblies, ils seront alors coupés des forces progressistes mondiales et se lieront au char capitaliste.
Les masses arabes créent l’histoire arabe
A cette incontestable supériorité technologique d’Israël, la nation arabe oppose des capacités humaines lui permettant d’écraser l’ennemi, de faire disparaître l’État d’Israël, de liquider la présence impérialiste à l’échelle arabe. A condition, toutefois, qu’elles puissent être mobilisées dans une guerre de libération populaire de longue haleine (…).
Malgré la défaite de juin et l’effondrement des armées arabes, la Révolution palestinienne a résolument poursuivi sa marche en avant, persuadée que, quelle que soit la gravité de l’échec subi, les masses peuvent réaliser des miracles. Sa confiance en elle-même, en sa capacité de défier l’ennemi et de libérer les régions occupées, s’est considérablement accrue après que des avant-gardes palestiniennes, peu nombreuses, eurent remporté à Karameh la bataille de la « karâma » (dignité).
Les masses se sont senties délivrées du mythe de la supériorité israélienne. Elles ont compris que la guerre populaire était la voie de la libération et du salut. C’est à partir de cette glorieuse bataille qu’elles ont commencé à rejeter toute idée de solution politique — considérant les tentatives de ce type comme un complot international visant à liquider le problème arabe —, et qu’elles ont retenu la violence armée comme moyen d’action privilégié (…).