DOGME, DOGMATISME. Un dogme est une thèse acceptée à l’aveugle, par croyance, sans critique, sans tenir compte des conditions de son application. Le dogmatisme est caractéristique de tous les systèmes théoriques qui défendent le périmé, l’ancien, le réactionnaire et combattent le nouveau, le progressif.

Sont dogmatiques les théories sociales qui ne trouvent plus d’appui dans la réalité en voie de développement. Une thèse juste en elle-même mais appliquée d’une façon non dialectique, sans tenir compte des changements concrets de la situation, peut dégénérer en dogme. Marx et Engels n’ont cessé de rappeler que leur doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action.

Lénine et Staline ont combattu énergiquement la vulgarisation dogmatique du marxisme, entreprise par les opportunistes de toute couleur en vue d’émousser la pointe révolutionnaire et critique de cette arme théorique du prolétariat. Les menchéviks russes, par exemple, donnaient une appréciation dogmatique de la révolution de 1905 en l’identifiant aux révolutions bourgeoises du XVIIIe et du XIXe siècle.

Ils n’ont pas compris et ne pouvaient pas comprendre qu’à l’époque de l’impérialisme la situation historique était tout autre, que les conditions de la révolution démocratique bourgeoise s’étaient sensiblement modifiées. Ils n’ont pas compris que, dans ces conditions nouvelles, la force motrice principale de la révolution réside dans le prolétariat qui y exerce l’hégémonie et dans la paysannerie, mais non dans la bourgeoisie.

Lénine a réfuté les dogmes menchéviks et élaboré les principes de la tactique du parti bolchevik dans la révolution démocratique. (V. « Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique ».)

Le marxisme authentiquement révolutionnaire est un marxisme créateur, qui s’enrichit sans cesse des données nouvelles du développement social, de l’expérience révolutionnaire des masses. Le dogmatisme est hostile à la théorie et à la pratique révolutionnaires. Etre fidèle à la théorie marxiste, ce n’est pas simplement s’en tenir à la lettre du marxisme, c’est s’inspirer de l’esprit du marxisme, c’est l’enrichir, le concrétiser en tenant compte des conditions historiques nouvelles.

Le dogmatisme est fondé sur la rupture entre la théorie et la pratique. Le marxisme est fondé sur leur unité indissoluble. (V. également Marxisme créateur.)

DOKOUTCHAÏEV Vassili Vassiliévitch (1840-1903). Grand savant russe, fondateur de la science des sols, un des créateurs de l’agronomie scientifique, homme public et démocrate. Continuateur des meilleures traditions matérialistes et démocratiques de la science russe, inaugurées par Lomonossov (V.) et Radichtchev (V.), Dokoutchaïev, naturaliste de valeur, a abordé les problèmes de la pédologie en partant des positions matérialistes. Il considérait la nature comme un tout, et ses phénomènes et processus comme liés organiquement entre eux et découlant les uns des autres.

Dokoutchaïev considérait la pédologie comme une science synthétique, les sols étant la résultante d’une interaction extrêmement complexe de facteurs « qui exigent de leurs investigateurs des incursions continuelles dans les domaines de spécialités les plus diverses… ».

Esprit encyclopédique, Dokoutchaïev a été un révolutionnaire dans les sciences de la nature ; il a établi les principes généraux et les lois de la genèse, de l’évolution et de la répartition géographique des sols, et tracé la voie de leur étude et de leur utilisation rationnelle pour les besoins de l’agriculture.

Dès le début de son activité scientifique, Dokoutchaïev est passé des travaux purement géologiques à de vastes recherches physico-géographiques sur les sols, accumulant ainsi une documentation expérimentale considérable par son étendue et l’importance de ses données. Il a créé une théorie classique de l’origine des cours d’eau et de leurs vallées, défini la nature du développement des processus d’érosion.

Dokoutchaïev a été le premier à entreprendre de vastes expéditions d’étude dans les terres noires de la plaine de l’Europe orientale, du Caucase et de la Crimée, c’est-à-dire des « sols qui constituent la richesse fondamentale et incomparable de la Russie… ». Le résultat de ces travaux fut une carte, dressée pour la première fois, des sols de la Russie d’Europe et l’ouvrage « Les terres noires de Russie » (1883), base véritable de la pédologie génétique qui se place de plein droit à côté de « L’origine des espèces » de Darwin.

La théorie de Dokoutchaïev sur la genèse et l’évolution des sols est l’une des œuvres les plus remarquables de la science matérialiste de la nature. Il a créé une doctrine harmonieuse sur « la grande diversité et la complexité des corrélations et des interactions existant entre la nature vivante et la nature inerte, ainsi que sur les lois qui régissent leurs modifications séculaires… »

Dokoutchaïev a démontré que le sol représente en quelque sorte le quatrième règne de la nature, et que sa formation résulte de l’interaction des roches originelles et d’un grand nombre de facteurs : climat, organismes végétaux et animaux, eaux superficielles et souterraines, relief et âge du pays et activité humaine. Il considérait le processus de formation du sol dialectiquement, « comme des fonctions éternellement variables » de tous ces facteurs dans l’espace et dans le temps.

La création d’une science spéciale du sol a été d’une haute importance pour la théorie et la pratique, car elle a facilité l’étude objective du sol des différentes zones, permis de diriger sciemment la formation du sol et d’en améliorer sans cesse les propriétés agronomiques. Dokoutchaïev a brillamment prouvé la théorie des zones de terrains et des formations typiques du sol et posé la base scientifique d’une classification génétique des sols. Il a établi la « liaison qui vit et agit entre les différents sols, et les associations végétales et animales entières… » (podzols : taïga ; terres grises forestières : steppe boisée ; terres noires : plaine ; sols bruns et châtains : steppe semi-désertique ; terres grises : steppe désertique).

Dokoutchaïev a été le premier à établir la liaison dialectique entre le sol et le paysage et à considérer le sol, non seulement comme une partie essentielle du paysage, mais aussi comme son miroir, le miroir de l’ensemble complexe des conditions naturelles ambiantes. Grand savant et patriote, Dokoutchaïev déployait une très large activité, étroitement liée à la pratique agricole.

C’est seulement sur une base scientifique correcte, estimait-il, que « pourront être fondées des mesures réellement pratiques en vue du relèvement de l’agriculture… ». Dans ce but, il étudia les ravins et les basses vallées des cours d’eau, rechercha les causes du tarissement fluvial, établit celles de la sécheresse et de l’érosion des sols, contre lesquelles il ébaucha des moyens de lutte, aborda les problèmes de la bonification et de la mise en valeur des terrains marécageux.

En même temps, Dokoutchaïev a jeté les bases d’une sélection différenciée, par zones, des méthodes agronomiques (assolements, herbages, travail de la terre, amendement, irrigation).

Il réclamait une étude des conditions de culture de la terre « sous tous les aspects et obligatoirement dans leur action réciproque ». Pour lui, la science aux mains du peuple, est un puissant facteur de transformation et les forces de la nature défavorables à l’agriculture ne sont redoutables que tant qu’on les ignore ; « il suffit de les étudier et d’apprendre à les diriger pour qu’elles agissent à notre avantage ».

Dans son ouvrage « Nos steppes autrefois et aujourd’hui » (1892) il a tracé l’ensemble des mesures à prendre pour transformer les steppes arides en steppes boisées florissantes : protection des champs par des écrans forestiers, boisement des rives des fleuves, des ravins et des pentes dénudées, des sables et des terrains vagues : création de sols structurés et amélioration de leurs qualités physiques par ensemencement d’herbages ; travail de la terre selon les règles de l’agronomie, conservation de l’humidité, maintien des neiges, rétention des eaux de la fonte et des eaux de pluie, régulation du niveau des fleuves, creusement d’étangs et de pièces d’eau, irrigation par polders et utilisation des eaux d’écoulement, emploi des engrais, choix de cultures et de variétés adoptées aux conditions locales, etc. Sous ce rapport, Dokoutchaïev « devançait son temps de toute une époque » (Williams).

Les idées de Dokoutchaïev sont entrées dans le trésor de la science agronomique. Elles ont favorisé le développement des sciences naturelles connexes : biogéochimie, géologie dynamique, hydrogéologie, etc., et donné naissance à des écoles progressistes russes dans maintes branches de la science. Suivant le juste témoignage de Williams (V.), Dokoutchaïev « fait partie des savants les plus notoires de la fin du XIXe siècle, sa réputation est mondiale », son nom « est digne de prendre place au premier rang des classiques des sciences naturelles ».

Pédagogue de talent, homme public, patriote, Dokoutchaïev a été l’un de ceux qui ont le plus contribué à l’épanouissement de la science russe. Il a organisé le Comité des sols, fondé le journal scientifique « Potchvovédénié » [Pédologie], créé la première chaire de cette science et beaucoup fait pour le développement de l’enseignement agronomique supérieur et la formation des cadres scientifiques en Russie, pour le rayonnement de la science russe progressive à l’étranger. Il considérait de son devoir de travailler pour la science et d’écrire pour le peuple. Aux expositions mondiales de Paris et de Chicago, Dokoutchaïev reçut les premiers prix, et ses idées, développées par ses élèves, sont reconnues par les savants du monde entier.

A côté d’une interprétation matérialiste juste des principes fondamentaux de la géologie, de la pédologie et de l’agriculture, Dokoutchaïev a commis certaines erreurs dans le domaine de la sociologie et de la philosophie. Il surestimait le rôle des conditions géographiques dans l’évolution de la société humaine. Il affirmait que la nature se développe sans faire de bonds. Une de ses grandes erreurs a été d’admettre des « lois absolues » de la permanence des rapports entre le climat, les zones naturelles et le sol d’une part, et la faune et la flore du payde l’autre. Dokoutchaïev a sous-estime le rôle prédominant du facteur biologique dans la genèse et l’évolution des sols.

La doctrine progressive de Dokoutchaïev sur la transformation de la nature des steppes et le relèvement de la fertilité des sols ne pouvait être mise en pratique sous le tsarisme. Ce n’est que dans la société socialiste que la pédologie de Dokoutchaïev, enrichie et développée par Williams et d’autres savants soviétiques, est devenue une branche importante des sciences de la nature au service de l’agriculture socialiste.


Revenir en haut de la page.