DISCONTINU ET CONTINU. La nature matérielle est simultanément discontinue et continue. Son caractère discontinu se manifeste de multiples façons, avant tout dans le fait que la nature se compose de corps isolés, qualitativement déterminés, différents par leur complexité : galaxies (nébuleuses), étoiles, systèmes planétaires, planètes, différents corps sur les planètes, molécules, atonies, électrons, etc.

L’émission de la lumière est discontinue ; la lumière est émise et absorbée par portions séparées d’énergie, les quanta ou photons. Mais en même temps la nature est continue. Tous les corps constituent un tout ; les atomes forment des molécules, celles-ci s’agglomèrent en corps entiers, par exemple les cellules végétale et animale dont se composent les organismes ; les étoiles forment des systèmes stellaires, etc.

Il en est de même pour la lumière qui est discontinue et continue à la fois : elle est émise et absorbée par photons, mais diffusée par ondes, c’est-à-dire comme un tout, comme un torrent d’ondes. Les électrons et les autres particules élémentaires ont une nature double: corpusculaire et ondulatoire, c’est en quoi se traduit l’unité du discontinu et du continu.

De même le mouvement, le temps et l’espace sont simultanément discontinus et continus. L’accumulation lente, continue des changements quantitatifs est interrompue par un bond par le passage d’un état qualitatif à un autre. La discontinuité et la continuité sont inconcevables l’une sans l’autre, elles sont connexes.

DISCRETION. Discontinuité. (V. Discontinu et continu.)

DOBROLIOUBOV Nikolaï Alexandrovitch (1830-1861). Grand démocrate révolutionnaire, philosophe matérialiste et critique littéraire. De même que N. Tchernychevski (Y.) il fut l’idéologue de la révolution paysanne en Russie.

Aux années 60 du XIXe siècle la vague des soulèvements paysans contre le servage et le tsarisme montait en Russie. N. Tchernychevski et N. Dobrolioubov formulèrent les principales revendications démocratiques des masses paysannes, exprimèrent dans leurs œuvres les vœux et les espoirs des paysans.

Lénine, rendant hommage à Dobrolioubov, écrivait que ce fut un écrivain qui était cher à toute la Russie instruite et pensante, « qui haïssait l’arbitraire et attendait passionnément le soulèvement populaire contre les « Turcs intérieurs », c’est-à-dire contre le gouvernement autocrate » (Œuvres, t. 5, éd. russe, p. 296).

Dans plusieurs de ses œuvres, dans ses articles « Le royaume des ténèbres » et « Un rayon de lumière dans le royaume des ténèbres », Dobrolioubov a fait une critique implacable du régime. La Russie servagiste était le « royaume des ténèbres », dont on ne peut sortir que par la révolution. Aucune réforme n’est capable d’améliorer la situation du paysan.

Il était sceptique à l’égard de l’émancipation des paysans que l’on projetait, exprimant par là la méfiance des paysans envers la réforme. Il stigmatisait les libéraux, flétrissait leurs bavardages sur les réformes et le progrès « Nous n’avons pas besoin d’une éloquence fastidieuse et vaine qui vous met en état de torpeur satisfaite, qui vous remplit de rêves agréables. Il nous faut une parole fière, neuve, qui mette dans les cœurs la flamme du courage civique et anime à une action d’une ampleur sans précédent. »

Dobrolioubov estimait que la paysannerie la classe la plus opprimée de la société russe, était la force capable d’accomplir la révolution. La révolution paysanne viendrait de la fusion de plusieurs soulèvements en un seul, englobant toute la Russie, et qui écraserait le tsarisme et le servage. Dobrolioubov a consacré toute sa vie à la préparation de la révolution populaire, paysanne.

Il estimait que le régime futur, né de la révolution, n’aurait rien de commun ni avec le régime servagiste-autocrate, ni avec le régime capitaliste des pays de l’Ouest. La démocratie occidentale prônée par les libéraux russes, il la considérait comme hypocrite, défendant les droits des riches. Les peuples de ces pays restent les esclaves de l’arbitraire des gouvernants.

Sous le capitalisme les travailleurs subissent un double joug : l’exploitation capitaliste et féodale. « Et il s’en est suivi, écrivait Dobrolioubov, que le peuple laborieux est plié sous deux jougs, sous celui du vieux féodalisme subsistant sous des formes et des appellations différentes dans toute l’Europe occidentale, et de la bourgeoisie qui a mis la main sur toute l’industrie. »

Il apercevait la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, « l’hostilité de la classe ouvrière envers les entrepreneurs et les fabricants ». Voyant les antagonismes de la société capitaliste, Dobrolioubov, cependant, n’est pas venu au socialisme scientifique, mais au socialisme utopique.

Ne connaissant pas les lois du développement de la société, il estimait, comme tous les démocrates révolutionnaires, que la révolution paysanne instaurerait le régime socialiste. Il se disait socialiste et partisan d’un régime républicain. Dans la « république idéale » future, toute oppression sera abolie, les parasites et les malfaiteurs en seront chassés, on édifiera la « sainte fraternité» et l’égalité sans « priorité rie noblesse ».

Le principe essentiel de la nouvelle société sera la répartition des biens matériels d’après la quantité et la qualité du travail fourni. « Le principal, c’est que l’importance de l’homme dans la société soit conforme à ses qualités personnelles et que chacun acquière les biens matériels en stricte conformité avec la quantité et la valeur de son travail… »

Le socialisme utopique (V.) de Dobrolioubov et de tous les démocrates révolutionnaires constituait la tendance la plus progressiste de la pensée sociale de Russie et de l’Europe occidentale dans la période prémarxiste. Dobrolioubov ne comprenait cependant pas que la victoire de la révolution paysanne favoriserait le développement du capitalisme, la victoire de la révolution paysanne eût été, pour la Russie tsariste, un grand pas en avant et eût créé des conditions favorables à la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie.

Toute la lutte de Dobrolioubov, toutes ses œuvres sont pénétrées de patriotisme. Il estimait que sa tâche à lui était d’affranchir le peuple russe du servage et de l’oppression tsariste. Il distinguait les traits nationaux remarquables du peuple russe, qui a donné de grands savants, poètes et penseurs. Il flagellait les cosmopolites, qui « renient sottement leur patrie ».

Le patriotisme de Dobrolioubov, comme celui de tous les démocrates révolutionnaires, était l’expression d’une foi profonde en les forces créatrices du peuple, son énergie révolutionnaire et le grand avenir de sa patrie. Le démocratisme révolutionnaire de Dobrolioubov est étroitement lié à son matérialisme philosophique.

Sa philosophie matérialiste était le prolongement et le développement des traditions matérialistes de la philosophie russe, datant de N. Lomonossov (V.) et A. Radichtchev (V.). Les grands démocrates révolutionnaires V. Biélinski (V.), A. Herzen (V.), N. Tchernychevski exercèrent une influence prépondérante sur ses conceptions ; les penseurs avancés de l’Europe occidentale avaient également beaucoup influencé la formation et le développement de ses convictions Dans toutes ses œuvres il tranche en matérialiste la question fondamentale de la philosophie (V.). Le monde matériel, objectif est donnée première : la conscience, donnée seconde.

Dans sa solution matérialiste de la question principale de la philosophie Dobrolioubov s’appuie sur les réalisations ries sciences naturelles de l’époque. En parfait accord avec la science, il affirme que le monde matériel agit sur l’homme et produit les sensations. « Nous sentons que sur nous agit quelque chose qui est différent de nous, extérieur à nous, en un mot le non-moi. Nous en concluons qu’il existe quelque chose d’autre que nous, sans quoi nous ne pourrions sentir aucune action extérieure sur notre moi.

D’où il suit que nous ne connaissons l’existence des objets que parce qu’ils agissent sur nous. » Le monde matériel est soumis à ses lois naturelles. Dobrolioubov estime contraire à la science, digne des alchimistes du moyen âge, le désir de trouver dans la nature une « raison mystérieuse ». Beaucoup de naturalistes, écrivait Dobrolioubov, s’en référant à la « raison mystérieuse », tentent de cacher leur ignorance des lois de la nature.

Il démasque la conception métaphysique de la force en tant qu’aptitude détachée de la matière. « La force est une propriété inhérente à la matière et ne peut exister en dehors d’elle. » La force, de même que telle ou telle propriété d’un objet, est inséparable des objets matériels. C’est pourquoi la force du cerveau humain, sa faculté de penser est un phénomène parfaitement naturel, propre à la matière à un haut degré de son évolution.

Donc, il n’y a pas, dans l’homme, deux principes opposés, de même qu’ils n’existent pas dans le monde. Il n’y a qu’un seul monde matériel et « l’être humain indissociable ». Dobrolioubov nie comme antiscientifique la division dualiste du monde et de l’homme en deux substances: matérielle et idéale.

Mais il n’en amoindrit pas l’importance de la vie intellectuelle de l’homme et trouve inepte l’affirmation du matérialisme vulgaire « grossier », « que l’âme humaine serait formée d’une certaine matière extrêmement fine ».

Dobrolioubov estimait que la loi du développement est la loi principale du monde matériel, et que la nature et la société y sont soumis. « Dans le monde tout est soumis à la loi du développement. Dans la nature tout chemine progressivement du simple au plus complexe, de l’imparfait au plus parfait ; mais partout il n’y a qu’une seule et même matière, à différents degrés de développement. »

Ce mouvement et ce développement universels, il les considérait comme la base de la diversité qualitative du monde matériel. La stagnation et l’immobilité n’existent ni dans la société ni dans la pensée humaine.

C’est aussi en matérialiste que Dobrolioubov résout le second aspect de la question fondamentale en philosophie. Il estime que l’homme peut connaître le monde matériel environnant. Il démasque l’agnosticisme (V.), le scepticisme et les mensonges religieux sur les facultés bornées de la raison humaine. D’après lui, l’homme, au cours du processus de la connaissance, part des impressions provoquées dans nos sens par les objets extérieurs, pour en venir à la découverte de leur essence. La connaissance est déterminée par les besoins pratiques de la vie et vérifiée par l’activité de l’homme.

Fort de la théorie matérialiste de la connaissance, Dobrolioubov a développé les fondements philosophiques de l’esthétique de Biélinski et Tchernychevski. C’était un critique littéraire éminent. Il était d’avis que l’art est le reflet de la réalité objective dans la conscience de l’homme. La science et l’art ont ceci de commun, qu’ils ont pour objet le même monde matériel.

L’artiste doit être un penseur ; il ne doit pas copier la réalité mais déceler les liens intérieurs et la suite logique des phénomènes, généraliser les faits et en tirer les conclusions. Faire une image fidèle, ce n’est pas fixer les traits fortuits des phénomènes, mais découvrir leur essence, les particularités caractéristiques du phénomène. Il invitait l’artiste à refléter ce qu’il y a de typique dans les phénomènes, à découvrir leur essence et leur lien avec la réalité ambiante. Il exigeait de la littérature qu’elle serve le peuple laborieux. La théorie esthétique de Dobrolioubov fut d’une grande portée pour le développement de l’art et de la littérature russes d’avant-garde.

Son matérialisme était borné : concevant en matérialiste les lois de la nature, il n’étendait pas cette conception matérialiste aux rapports sociaux. La cause en était dans le retard économique et politique de la Russie. Pourtant le démocratisme révolutionnaire de Dobrolioubov a marqué ses vues sur la société d’une forte tendance matérialiste : il admettait le rôle prépondérant des masses dans le processus historique.

Il faut apprécier les événements historiques, disait-il, d’après l’influence qu’ils exercent sur le peuple. Ayant constaté l’importance des masses dans l’histoire, Dobrolioubov a résolu correctement, quant au fond, le problème du rôle des personnalités marquantes dans le développement progressif de l’humanité.

Il n’opposait pas l’individu à la masse ; au contraire, il découvrait le lien entre le peuple et la personnalité marquante, qui exprime ses intérêts. S’efforçant de découvrir les lois intérieures du développement de la société, il montrait la grande importance de la lutte des classes. Dans le développement historique de la société le côté matériel, la répartition des biens entre les hommes joue un grand rôle. Il est cependant resté idéaliste dans ses idées générales sur le développement de la société.

Dobrolioubov est un athée. Il voit la source de la religion dans la peur que l’homme éprouve devant les phénomènes incompris de la nature. Il démasque le rôle réactionnaire de la religion, qui propage les superstitions et l’ignorance, et qui appelle les masses à la patience. Il montre le lien direct entre la religion et la politique.

Dobrolioubov fut l’un des précurseurs de la social-démocratie russe. Les classiques du marxisme-léninisme ont hautement apprécié Dobrolioubov penseur et champion de l’affranchissement du peuple russe du servage et de l’autocratie. Les « Textes philosophiques choisis » de Dobrolioubov (un volume) ont été publiés en français par les Editions en langues étrangères, Moscou 1950.


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