DECEMBRISTES. Une place importante dans le développement de la pensée sociale et politique et de la philosophie en Russie appartient aux décembristes, révolutionnaires issus de la noblesse. Lénine, en caractérisant les étapes du mouvement de libération révolutionnaire en Russie, appelle sa première étape l’étape ou la période de la noblesse. Il dit que « les représentants les plus marquants de la période de la noblesse étaient les décembristes et Herzen ».
Le mouvement des décembristes de 1825 fut le premier mouvement révolutionnaire contre le tsarisme. Des organisations secrètes furent formées pour préparer et diriger la révolution et pour élaborer la constitution du futur Etat russe.
En décembre 1825 des soulèvements armés contre le tsarisme éclatèrent à Pétersbourg et dans le sud de la Russie (révolte du régiment de Tchernigov).
Ces soulèvements, qui ne s’intégraient pas dans la lutte du peuple contre le tsarisme, furent écrasés. Les organisateurs et les idéologues les plus marquants de ce mouvement : P. Pestel, K. Ryléev, S. Mouraviev-Apostol, P. Kakhovski et M. Bestoujev-Rioumine, furent exécutés. Plus de cent participants furent envoyés au bagne et en exil en Sibérie.
Le mouvement des décembristes, qui groupait les couches avancées de la société russe, répondait aux besoins pressants du développement historique de la Russie et reflétait le mécontentement des larges masses populaires en lutte contre le servage.
Les décembristes s’étaient posé cette tâche révolutionnaire : abolir en Russie par la voie d’un soulèvement armé l’autocratie et la monarchie, instaurer la république, abolir le servage, établir les libertés démocratiques. Ce mouvement lié à l’essor patriotique du peuple russe suscité par la Guerre nationale de 1812, devait frayer le chemin au développement national de la Russie.
L’étroitesse des décembristes s’est manifestée dans leur crainte de la révolution populaire, leur tactique indécise lors du soulèvement, les transformations restreintes qu’ils voulaient entreprendre. Lénine écrivait à ce propos : « Le cercle de ces révolutionnaires est restreint. Ils sont très éloignés du peuple » (Oeuvres choisies en deux volumes, t. I, 2e partie, M. 1954, p. 278).
Lénine attire l’attention sur la tradition républicaine établie par les décembristes dans la pensée sociale russe avancée. La lutte pour la république et pour l’abolition du servage trahissait le caractère bourgeois du mouvement. Les transformations même les plus modérées prévues par les décembristes auraient mis la Russie sur la voie du capitalisme.
Les plans de transformation révolutionnaire de la société russe, conçus par les décembristes, sont inséparables de leur philosophie matérialiste avancée. La tradition matérialiste de la philosophie russe qui date de M. Lomonossov (V.) et A. Radichtchev (V.) a joué un rôle important dans la formation des conceptions philosophiques matérialistes des décembristes.
Ils avaient étudié également les œuvres des philosophes matérialistes européens. Les vues des décembristes s’appuyaient sur une connaissance approfondie des sciences naturelles.
Les dirigeants et les idéologues du mouvement, notamment I. Iakouchkine, N. Krioukov, P. Pestel, P. Borissov, I. Gorbatchevski, V. Raïevski étaient des philosophes matérialistes et c’est en matérialistes qu’ils tranchaient la question fondamentale de la philosophie : la matière est donnée première, la conscience est donnée seconde.
Forts des découvertes de la science de l’époque, les décembristes estimaient que la matière se compose d’atomes ou « unités » en mouvement perpétuel et remplissant un espace illimité et incommensurable. L’agglomération des atomes mène à la formation des corps. Les décembristes émettaient l’idée hardie que la formation des mondes se poursuit encore.
D’après eux, le monde matériel est soumis, dans son développement, à des lois objectives. Une des lois objectives principales est celle de la causalité. En se développant, la matière engendre des êtres vivants ; l’homme est le sommet de ce développement. Il tient le même rang que tous les êtres vivants, mais il se distingue essentiellement des animaux, par sa faculté de penser, faculté particulière du cerveau et résultat d’une longue évolution de la matière vivante.
Les décembristes ne ramenaient pas la pensée à la matière et distinguaient ses qualités particulières, spécifiques.
Les décembristes soutenaient que le monde matériel est connaissable. Ils liaient la connaissance à l’activité de l’homme Deux voies mènent à la connaissance : l’expérience ou les sens, et la raison.
Sous l’action des objets extérieurs les sens donnent des représentations, des sensations qui, à l’aide des nerfs, sont transmises au cerveau. Mais les sens ne peuvent donner le savoir complet. Seule la raison découvre les traits communs des choses, les rapports des phénomènes, les lois du développement du monde matériel, le fond même de l’objet.
Les connaissances se vérifient par la coordination des nouvelles notions avec les anciennes et par l’élimination des contradictions. Aucun des décembristes ne saisissait la portée de l’activité pratique en tant que critère de la vérité.
Les décembristes-matérialistes ont été les premiers, dans la philosophie russe, à donner une critique de la philosophie idéaliste allemande de Kant (V.) et de Schelling (V.). Ils ont critiqué l’empirisme de Locke (V.) et le dualisme de Descartes (V.). L’idéalisme et la scolastique, disaient-ils, sont les ennemis de la raison.
Dans leurs organisations secrètes ils luttaient contre les idéalistes affiliés à leur mouvement. La philosophie matérialiste et de profondes connaissances des sciences de la nature permettaient aux décembristes d’aboutir à des conceptions athéistes, de nier Dieu.
Ils voyaient les racines de la religion dans la vie des hommes, dans leur désir d’atténuer leurs souffrances par l’espoir d’une vie meilleure dans l’au-delà.
La philosophie matérialiste des décembristes était, à l’époque, une philosophie d’avant-garde. Mais l’étroitesse du mouvement dans son ensemble déterminait aussi celle des idées philosophiques des décembristes. Leur matérialisme était métaphysique.
Dans leur conception de la vie sociale ils restaient idéalistes. Pour eux, l’instruction devait jouer le rôle principal dans l’évolution sociale. Etant éloignés du peuple, ils estimaient que l’on ne peut changer l’ordre social que par une révolution militaire, dirigée par une société secrète. C’est là la cause de leur échec.
Le mouvement révolutionnaire des décembristes et leur philosophie matérialiste eurent une portée considérable pour le développement du mouvement de libération et de la pensée philosophique en Russie. Patriotes, ils aimaient ardemment leur peuple. Le mouvement fut écrasé, mais leur sacrifice ne fut pas vain. « Les décembristes ont réveillé Herzen. Herzen a développé l’agitation révolutionnaire » (Ibid., p. 271).
Développant la tradition matérialiste de la philosophie russe, les décembristes ont exercé une grande influence sur la formation de la deuxième génération des révolutionnaires russes : les démocrates révolutionnaires.
La ligne matérialiste dans la philosophie russe va des décembristes, par A. Herzen (V.), vers V. Biélinski (V.), N. Tchernychevski (V.) et N. Dobrolioubov (V.).
DEDUCTION. V. Induction et déduction.
DEISME (Int. deus — dieu). Doctrine qui reconnaît l’existence de Dieu seulement en tant que cause première, impersonnelle, du monde ; pour le reste, l’univers est gouverné par les lois naturelles. Le déisme est né en Angleterre.
Dans sa lutte contre le féodalisme, la bourgeoisie révolutionnaire des XVIIe et XVIIIe siècles prêchait la libre pensée et répudiait certains rites et dogmes religieux. A l’époque où dominait l’idéologie féodale et religieuse, le déisme était souvent une forme voilée de l’athéisme, un procédé commode et facile pour les matérialistes d’être quittes de la religion.
L’un des premiers déistes anglais, H. Cherbury (1583-1648), déclarait que la religion n’était qu’une duperie inventée par les prêtres. Le moraliste Shaftesbury (1671-1713), autre représentant du déisme, démontrait que la morale est indépendante de la religion, qu’au contraire, cette dernière pousse les hommes à des actes immoraux.
En France Voltaire (V.) et Rousseau (V.) étaient déistes. De nos jours, le déisme dissimule la tendance à justifier la religion.