Comme on le sait, la monarchie française s’est fondée en lien étroit avec la religion. C’est un processus qui prolonge les périodes romane et gothique.

Ainsi, la légende catholique veut que Clotilde la femme de Clovis, alla prier avec un ermite, dans la forêt de Cruye (désormais forêt de Marly), lorsqu’un ange apparut et lui demanda de remplacer les trois crapauds de l’écusson royal par trois fleurs de lys en or.

On retrouve par la suite la fleur de Lys à l’époque de la dynaste carolingienne (à la suite de Charlemagne), avant d’être officialisé en tant que tel par Louis VII le Jeune au XIIe siècle. Il semble bien cependant que le nombre de trois fleurs de lys fut décidé par Charles V le Sage au XIVe siècle, en référence à la « Sainte Trinité ».

Clovis recevant la fleur de lys. Bedford Book of Hours, entre 1410 et 1430

Clovis recevant la fleur de lys. Bedford Book of Hours, entre 1410 et 1430

On attribue également à Clovis l’apparition de la « Sainte Ampoule », qui aurait été apportée par un ange sous la forme d’une colombe à Remi de Reims pour qu’il oint de son contenu le front de Clovis lors de son baptême.

Si le baptême a lieu au Ve siècle, cette histoire n’apparaît qu’au IXe siècle, raconté par Hincmar de Reims, archevêque de Reims :

« Le chrême [onguent pour le baptême] vint à manquer et, à cause de la foule du peuple, on ne pouvait aller en chercher. Alors, le saint prélat, levant les yeux et les mains au ciel, commença à prier en silence, et voici qu’une colombe, plus blanche que la neige, apporta dans son bec une petite ampoule pleine de saint chrême. Tous ceux qui étaient présents furent remplis de cette suavité inexprimable, le saint pontife prit la petite ampoule, la colombe disparut et Rémi répandit de ce chrême dans les fonts baptismaux…»

A cela s’ajoute l’oriflamme, présenté dans la Chanson de Roland comme l’étendard de Charlemagne. Par la suite, il désigna un étendard cherché par Louis VI à l’abbaye de Saint-Denis, ce dernier étant le « protecteur » du royaume.

Le Discours de la servitude volontaire aborde tous ces éléments, qui relèvent de la superstition la plus folle. Or, que dit l’auteur du Discours ?

Qu’effectivement, il ne faut pas y rechercher de la vérité, mais que cependant, tout cela est bien utile et a une certaine vérité dans la mesure où les Rois se sont maintenus et ont triomphé. C’est donc une idéologie de source bancale, mais qui a sa dignité, sa valeur et qu’il s’agit de reconnaître.

C’est une position résolument représentative du courant pragmatique de l’averroïsme politique, de la fraction des Politiques.

Voici le passage à ce sujet :

« Nos tyrans à nous, semèrent aussi en France je ne sais trop quoi : des crapauds, des fleurs de lys, l’ampoule, l’oriflamme.

Toutes choses que, pour ma part, et comme qu’il en soit, je ne veux pas encore croire n’être que de véritables balivernes, puisque nos ancêtres les croyaient et que de notre temps nous n’avons eu aucune occasion de les soupçonner telles, ayant eu quelques rois, si bons en la paix, si vaillants en la guerre, que, bien qu’ils soient nés rois, il semble que la nature ne les aient pas faits comme les autres et que Dieu les ait choisis avant même leur naissance pour leur confier le gouvernement et la garde de ce royaume.

Encore quand ces exceptions ne seraient pas, je ne voudrais pas entrer en discussion pour débattre la vérité de nos histoires, ni les éplucher trop librement pour ne point ravir ce beau thème, où pourront si bien s’escrimer ceux de nos auteurs qui s’occupent de notre poésie française, non seulement améliorée, mais, pour ainsi dire, refaite à neuf par nos poètes Ronsard, Baïf et du Bellay, qui en cela font tellement progresser notre langue que bientôt, j’ose espérer, nous n’aurons rien à envier aux Grecs et aux Latins, sinon le droit d’aînesse.

Et certes, je ferais grand tort à notre rythme (j’use volontiers de ce mot qui me plaît) car bien que plusieurs l’aient rendu purement mécanique, je vois toutefois assez d’auteurs capables de l’anoblir et de lui rendre son premier lustre : je lui ferais, dis-je, grand tort, de lui ravir ces beaux contes du roi Clovis, dans lesquels avec tant de charmes et d’aisance s’exerce ce me semble, la verve de notre Ronsard en sa Franciade.

Je pressens sa portée, je connais son esprit fin et la grâce de son style.

Il fera son affaire de l’oriflamme, aussi bien que les Romains de leurs ancilles et des boucliers précités du ciel dont parle Virgile. Il tirera de notre ampoule un aussi bon parti que les Athéniens firent de leur corbeille d’Erisicthone.

On parlera encore de nos armoiries dans la tour de Minerve. Et certes, je serais bien téméraire de démentir nos livres fabuleux et dessécher ainsi le terrain de nos poètes. »

On notera qu’il est parlé de la Franciade. Il s’agit d’une œuvre de poésie, non terminée, écrite par Pierre de Ronsard ; ce dernier explique le royaume de France proviendrait de Francion, un prince de Troie rescapé…

Il s’agit d’une version française de l’Enéide de Virgile (1er siècle avant notre ère), qui donne à Rome une origine troyenne mythique.

Le problème est ici que Michel de Montaigne prétend qu’Etienne de La Boétie aurait écrit le Discours de la servitude volontaire dans la seconde partie des années 1540, alors que le début de la Franciade, œuvre non terminée, fut publiée en 1572…

Il fut expliqué alors par les commentateurs bourgeois que le projet de Franciade datait de bien avant, avec un prologue lu devant Henri II, par exemple, en 1550 ou 1551. Le problème est ici que l’œuvre était effectivement connue, mais dans la mesure où elle était attendue.

Le Discours va trop loin dans l’éloge politique d’une œuvre pro-monarchie, avec des termes forts comme charme, aisance, verve, etc. pour ne l’avoir connu hypothétiquement que comme projet.

Il y a ici une contradiction formelle, qui montre que l’auteur du Discours de la servitude volontaire maîtrise parfaitement son sujet et reflète l’opinion des politiques, de la fraction pro-monarchie, qui est tout à fait ouvert à certaines thèses calvinistes, mais tente d’aller dans le sens d’un maintien général de l’équilibre politique afin de ne pas risquer l’effondrement général.


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