Dans le Discours de la servitude volontaire, on trouve cet appel pathétique :

« Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel.

Telle est pourtant la faiblesse des hommes ! Contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, divisés entre eux, ils ne peuvent pas toujours être les plus forts. »

On a ici une expression réellement démocratique, dont la base ne peut pas être autre que protestante.

En effet, seul le protestantisme propose une idéologie contenant à l’époque une charge démocratique, de par son opposition au clergé et à l’Église centralisée suivant le modèle papal.

La Michelade : le jour de la Saint-Michel, le 29 septembre 1567, des calvinistes en révolte exécutent environ 80 membres du clergé catholique à Nîmes

La Michelade : le jour de la Saint-Michel, le 29 septembre 1567, des calvinistes en révolte exécutent environ 80 membres du clergé catholique à Nîmes

La bourgeoisie est encore embryonnaire et n’envisage pas la démocratie ; même un auteur progressiste, comme Molière un siècle plus tard, ne sera pas en mesure de proposer une telle alternative. Il faudra attendre les Lumières pour cela.

Aussi, ce passage du début du Discours de la servitude volontaire a posé problème historiquement aux commentateurs bourgeois, de par l’ampleur de sa dénonciation de la monarchie :

« En conscience n’est-ce pas un extrême malheur que d’être assujetti à un maître de la bonté duquel on ne peut jamais être assuré et qui a toujours le pou-voir d’être méchant quand il le voudra ?

Et obéir à plusieurs maîtres, n’est-ce pas être autant de fois extrêmement malheureux ?

Je n’aborderai pas ici cette question tant de fois agitée ! « si la république est ou non préférable à la monarchie ».

Si j’avais à la débattre, avant même de rechercher quel rang la monarchie doit occuper parmi les divers modes de gouverner la chose publique, je voudrais savoir si l’on doit même lui en accorder un, attendu qu’il est bien difficile de croire qu’il y ait vraiment rien de public dans cette espèce de gouvernement où tout est à un seul.

Mais réservons pour un autre temps cette question, qui mériterait bien son traité à part et amènerait d’elle-même toutes les disputes politiques. »

L’auteur du Discours de la servitude volontaire – Etienne de La Boétie ou Michel de Montaigne, donc – prétend à la fois ne pas parler de la monarchie, pour la rejeter dans le même passage, tout en disant qu’il faudrait un traité à part !

Cela signifie deux choses. Tout d’abord, que l’auteur traite de la tyrannie et non pas de la monarchie. Les commentateurs sérieux l’ont tout à fait noté et les interprétations de type anarchisantes ont tout faux.

Le Discours de la servitude volontaire n’est absolument pas un manifeste de négation du pouvoir en général.

Ensuite, si l’auteur du Discours attaque la tyrannie, alors il est résolument nécessaire de comprendre qu’il vise aussi le Pape. Car, aux yeux des huguenots, le Pape est un tyran.

Il ne s’agit pas ici de l’infaillibilité papale, concept de la fin du XIXe siècle, mais de la primauté pontificale, où le pape est considéré comme le successeur de Saint-Pierre.

Rappelons ici que l’objectif des huguenots est de faire décrocher du pape les croyants de France. C’est un processus de rupture qui est proposé et qui exige du courage, mais un courage qui n’est pas militaire, qui repose seulement sur la volonté.

Se soumettre au tyran est mal, mais se soumettre à un tyran spirituel est tout aussi mal. Si l’on regarde par exemple ce passage du Discours, on voit très bien qu’il peut très bien, en plus de dénoncer le tyran, dénoncer le Pape :

« Deux hommes et même dix peuvent bien en craindre un, mais que mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme !

Oh ! Ce n’est pas seulement couardise, elle ne va pas jusque-là ; de même que la vaillance n’exige pas qu’un seul homme escalade une forteresse, attaque une armée, conquière un royaume !

Quel monstrueux vice est donc celui-là que le mot de couardise ne peut rendre, pour lequel toute expression manque, que la nature désavoue et la langue refuse de nommer ?… »

C’est la raison pour laquelle l’auteur du Discours peut dire qu’il suffit de ne pas croire pour que le tyran tombe. La thèse est totalement vraie pour le Pape : si on cesse de croire en lui, son Église s’effondre.

On lit ainsi dans le Discours :

« Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres.

Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se brise. »

C’est là tout à fait la position du calvinisme, qui ne veut pas tant détruire l’Église que la ruiner en faisant en sorte que sa base s’évapore.

Cependant, il n’y a pas que le calvinisme qui peut accepter cela : la faction monarchiste a tout intérêt également à ce que l’Église décroche de Rome, pour rentrer dans l’orbite nationale seulement.

Il y a là une convergence, un esprit général d’union entre les calvinistes et la faction des politiques, dont Michel de Montaigne est sans doute le plus éminent représentant.

 


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