CONDORCET Jean-Antoine Nicolas de (1743-1794). Eminent encyclopédiste français ; ses vues politiques le classent parmi les girondins. Sur l’ordre des autorités révolutionnaires jacobines il fut mis en prison où il se suicida. Comme son ami Voltaire (V.), Condorcet critiquait la religion sous l’angle du déisme (V.).

Tout en reconnaissant l’existence de Dieu, il assurait que celui-ci ne s’ingère jamais dans les choses de la nature et de la société. Fidèle à la philosophie du « siècle des lumières », Condorcet s’élevait contre les superstitions religieuses et magnifiait le progrès de la science.

Dans son célèbre ouvrage « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain », Condorcet s’en tient à la conception idéaliste de l’histoire présentée comme un produit de l’esprit humain ; il proclame le régime bourgeois le plus raisonnable et le plus « naturel » des régimes.

Niant les lois objectives de l’évolution sociale, se référant à des faits purement contingents et superficiels, Condorcet partage arbitrairement l’histoire de l’humanité en dix époques. Il en tire la conclusion que l’ultime époque se termine par le triomphe définitif de la propriété privée capitaliste. Condorcet luttait contre la hiérarchie féodale en faveur de l’égalité formelle.

Idéologue de la bourgeoisie au temps où la défense des libertés démocratiques rendait celle-ci populaire, Condorcet revendiquait l’abolition du despotisme et le droit de chacun au libre développement.

Cependant Condorcet déclarait hautement que la répartition inégale des biens est « utile à la société ». Malgré l’étroitesse de ses vues, due à ses préjugés de classe, Condorcet est bien supérieur aux idéologues de la bourgeoisie actuelle qui a jeté par-dessus bord le drapeau des libertés démocratiques bourgeoises. Ce n’est pas par hasard que certains philosophes réactionnaires de la France d’aujourd’hui sont pleins d’hostilité envers Condorcet.

CONNAISSANCE. La philosophie marxiste a été la première dans l’histoire de la pensée humaine à donner une explication scientifique de la nature de la connaissance et du processus cognitif. La gnoséologie marxiste prend pour base la réalité objective du monde extérieur, qui existe indépendamment de la conscience des hommes et considère sa connaissance comme le reflet de ce monde objectif. Le marxisme part ensuite de ce principe: le monde extérieur est parfaitement connaissable.

Ces prémisses s’opposent irréductiblement à l’idéalisme pour qui l’objet de la connaissance est soit une « idée absolue » mystique, l’esprit, Dieu, etc. (idéalisme « objectif » — V.), soit des états subjectifs, les sensations, les perceptions de l’homme (idéalisme subjectif — V.). Le marxisme a mis en échec les différentes théories idéalistes qui nient la possibilité de connaître le monde.

La thèse du matérialisme dialectique sur la possibilité de connaître le monde est une grande conquête de la philosophie scientifique. Elle encourage la raison humaine dans sa volonté de pénétrer l’essence des phénomènes, de découvrir les lois objectives de la nature et de la société et de les mettre au service des hommes.

Mais la philosophie marxiste ne s’est pas bornée à élucider la nature de la connaissance en tant que reflet de la réalité objective, et à démontrer la possibilité de connaître le monde. Son grand mérite est également d’avoir été la première à expliquer le processus de la connaissance.

Dans la philosophie prémarxiste régnaient des idées erronées sur ce problème important. Les partisans de l’empirisme (V.) mettaient l’accent sur le rôle prépondérant des sensations, de l’observation immédiate et niaient le rôle de la pensée théorique, de la généralisation et de l’abstraction.

Les adeptes du rationalisme (V.) faisaient valoir l’importance de l’activité de la raison qu’ils considéraient comme l’unique mode de connaissance et niaient le rôle de la connaissance sensible, de l’expérience, de l’observation En combattant les idéalistes, les matérialistes antérieurs à Marx soulignaient avec raison que la connaissance reflète les objets et les phénomènes objectifs de la nature.

Mais c’étaient des métaphysiciens : ils perdaient de vue toute la complexité de ce processus, sous-estimaient le rôle actif de la pensée. A l’encontre du matérialisme métaphysique les idéalistes poussaient le principe de l’activité de la pensée jusqu’à la négation du monde objectif, en faisaient le créateur de la nature. Et le plus grave, c’est que tous ces philosophes ne comprenaient pas le rôle primordial de la pratique dans la connaissance, détachaient la connaissance de la pratique.

Seule la philosophie marxiste a résolu ces problèmes. Elle a dépassé l’étroitesse de l’empirisme, du rationalisme et du matérialisme métaphysique et a mis la pratique au cœur du problème de la connaissance. Le marxisme a établi que la connaissance n’est pas un reflet inerte, « photographique », de la réalité mais un processus dialectique complexe.

En appliquant la dialectique matérialiste à la connaissance, le marxisme montre que celle-ci se développe par étapes, ces étapes étant liées entre elles et découlant nécessairement l’une de l’autre.

Lénine a exprimé admirablement l’essence de ce processus et montré comment la réalité se reflète à chaque degré de la connaissance de la vérité objective : « De la contemplation vivante à la pensée abstraite, et de celle-ci à la pratique — telle est la voie dialectique de la connaissance de la vérité, de la connaissance de la réalité objective » (« Cahiers philosophiques », éd. russe, pp 146-147).

Les sensations, les perceptions, les représentations, bref, l’observation vivante de la réalité, constituent le point de départ de toute connaissance. Les sensations sont les canaux par lesquels le monde extérieur agit sur la conscience humaine. Mais à cette première étape la connaissance donne surtout des images d’objets isolés, ne découvre que l’aspect extérieur des choses.

Les sensations, les perceptions, les représentations sont incapables de refléter à elles seules la liaison intime des phénomènes, de déceler les lois du monde objectif. Or, le but de la connaissance est de découvrir les lois objectives de la nature. La connaissance n’y parvient qu’à sa deuxième étape, à l’aide de la pensée abstraite.

En généralisant les données des sensations et des perceptions, la pensée abstraite laisse de côté tout ce qui est fortuit, non essentiel dans les objets et les phénomènes pour pénétrer leur essence Les résultats de cette opération se résument dans les concepts, les catégories, les lois scientifiques.

Telles sont, par exemple, les notions de matière, mouvement, classe, mode de production, etc. ; telles sont la loi de la valeur, les lois de la lutte des classes, la loi économique fondamentale du socialisme, etc. Ces deux degrés du processus de la connaissance — la contemplation vivante et la pensée abstraite — sont liés entre eux, se convertissent l’un en l’autre et marquent les jalons d’un seul et même processus dialectique du reflet de la réalité.

La pratique est à la base de ce processus et de chacune de ses étapes, elle est le critère suprême de la vérité des connaissances acquises. L’homme apprend à connaître le monde extérieur au cours de son activité pratique, en exerçant son action sur la nature.

La vérification pratique m’arque l’étape supérieure de la connaissance, du reflet des lois du monde objectif dans le cerveau humain. Seule l’activité pratique permet de vérifier chaque progrès de la connaissance, chaque vérité, découverte par la pensée. « C’est dans la pratique que l’homme doit prouver la vérité, c’est-à-dire la réalité et la puissance, l’en deçà de sa pensée. Le débat sur la réalité ou l’irréalité d’une pensée dissociée de la pratique, est une question purement scolastique » (Marx : « Thèses sur Feuerbach » in Engels : « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande», M. 1940. pp. 71-72).

Exclure la pratique du domaine de la connaissance, affirmer que le processus de la connaissance s’achève par la pensée abstraite, sous prétexte que la pratique est une activité matérielle, c’est commettre une grave erreur et adopter, en somme, une position idéaliste.

Dans son « Matérialisme et empiriocriticisme » (V.) Lénine montre qu’un tel point de vue se confond avec le machisme (V. Empiriocriticisme ; Mach). « En mettant le critère de la pratique à la base de la théorie de la connaissance, nous arrivons inévitablement au matérialisme, dit le marxiste.

La pratique peut être matérialiste, dit Mach ; quant à la théorie, c’est tout autre chose » (Lénine : « Matérialisme et empiriocriticisme », M. 1952, pp. 152-153). Seule la connaissance vérifiée par la pratique donne une vérité authentique. Loin de s’arrêter à l’étape de la pensée abstraite, le processus de la connaissance s’élève à une étape supérieure, celle de la vérification pratique de la vérité.

Le matérialisme dialectique arme la science de la connaissance des lois qui permettent de pénétrer le monde objectif toujours plus profondément. (V. également Concept ; Gnoséologie ; Théorie et pratique ; Vérité absolue et vérité relative ; Vérité objective.)


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