Depuis l’effondrement du régime syrien en décembre 2024, l’armée israélienne a mené 226 incursions au sol en Syrie, et procédé à 786 bombardements au moyen de l’artillerie ou de l’aviation. Le 2 mai 2025, c’est même l’environnement proche du palais présidentiel syrien qui a été la cible des missiles.
Officiellement, l’État israélien intervient pour « sauver » les druzes. Le chef religieux majeur des Druzes en Syrie, cheikh Hikmat al-Hajrin, venait d’appeler à l’aide alors que les islamistes, depuis leur victoire, exercent une pression sanglante sur les minorités religieuses.
Il vaut mieux parler de dimension ethnico-religieuse, car les Druzes ont mis en place leur propre religion, une sorte de mysticisme post-musulman, afin de maintenir leur cadre culturel.
Du côté israélien, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et le ministre de la Défense, Israël Katz prétendent naturellement vouloir sauver les Druzes. Le cheikh Muafak Tarif, chef spirituel de la communauté druze en Israël, s’est empressé de remercier en personne Benjamin Netanyahu. En réalité, personne n’est dupe, cela fait partie du redécoupage de la région. Les Druzes sont un million au total, dont un peu plus de 100 000 en Israël. Ils sont 400 000 au Liban, dans une zone bien définie, et environ 570 000 en Syrie, et justement au sud-ouest du pays, près d’Israël.
Pour les Israéliens, parvenir à établir une alliance avec les Druzes est un objectif majeur afin de renforcer ses propres positions. Il s’agit soit d’affaiblir la Syrie, soit de pousser à une sécession druze. Dans tous les cas, c’est une démarche expansionniste, et l’État israélien espère d’autant plus parvenir à ses fins que les Druzes ne représentent que quelques pourcents des trois pays où ils vivent.
Leur faiblesse numérique les pousse à une réflexion tactique permanente pour subsister dans « l’Orient compliqué », où les divisions religieuses et communautaires, en raison de la prépondérance du clanisme, du tribalisme, qui se perpétuent dans un environnement littéralement féodal malgré sa modernité.
C’est là qu’on reconnaît les complications de la situation car, dans les faits, les Druzes sont des Arabes. Mais l’unité nationale arabe des différents pays arabes aboutit sans aboutir, se heurtant perpétuellement à la dimension semi-féodale. C’est précisément cela qui affaiblit terriblement la cause palestinienne, qui l’empêche d’aboutir à quelque chose de constructif.
Car l’opération du « Déluge d’Al Aqsa » du 7 octobre 2023 n’a pas marqué une avancée de la cause palestinienne. On peut retourner les faits dans tous les sens, c’est même l’inverse qui est vraie : jamais la société palestinienne n’a été aussi divisée, jamais sur le plan militaire la pression n’a été aussi grande, jamais l’État israélien n’a été en mesure d’agir aussi librement.
Le but n’est d’ailleurs pas moins que de détruire Gaza, d’en chasser la population palestinienne. C’est ouvertement affirmée par le cabinet de sécurité israélien dans son plan d’intervention à Gaza approuvé à l’unanimité, dans la nuit du 4 au 5 mai 2025.
Le plan par étapes, établi par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, vise à instaurer une présence militaire israélienne durable. L’ensemble de la population de la bande de Gaza doit être déporté vers le sud de l’enclave. Et le « départ volontaire » des habitants de Gaza vers d’autres parties du monde va être encouragé. En ce sens, l’armée israélienne a déjà commencé à appeler des dizaines de milliers de réservistes pour renforcer sa présence militaire à Gaza.
C’est là une action qui a un double sens. Déjà, il s’agit d’aller de l’avant du démantèlement de Gaza, un objectif conforme au sionisme comme idéologie expansionniste régionale. Ensuite, il s’agit de continuer à exercer une pression démesurée dans une situation déjà terrifiante. 90 % des logements sont détruits, 95 % des infrastructures hospitalières sont endommagées. C’était l’objectif dès le départ, au-delà de la question des otages : les cinq premiers mois, l’État israélien a bombardé Gaza au moyen de 25 000 tonnes d’explosifs, soit deux bombes atomiques.
Au cours de ce processus, il y a les morts, par dizaines de milliers. Combien sont-ils : 50 000, 60 000, 70 000 ? Au terrorisme menée de manière militaire s’associe une opacité complète, l’armée israélienne isolant Gaza du reste du monde, pour les journalistes comme, à partir de début mars 2025, pour les camions de l’aide humanitaire.
Les Palestiniens de Gaza sont ainsi livrés à eux-mêmes, placés dans la survie sans apport d’eau potable, sans nourriture, sans médicaments. Cela est vrai pour aujourd’hui comme pour demain : ont été endommagées ou détruites 82 % des terres cultivées, 55 % des systèmes d’irrigation des exploitations, 78 % des serres, 70 % des puits agricoles, et ont été tués 96 % des animaux de ferme et 99 % des poulets.
Le but est de briser les Palestiniens de Gaza, entièrement alors que 1,9 million de personnes, soit 90 % des habitants, n’ont cessé d’être déplacés de force, selon les actions militaires israéliennes les amenant à fuir dans telle ou telle direction. Cela veut dire aussi : plus d’événements culturels, plus d’éducation.
Si on ajoute à cela le nettoyage des destructions, la reconstruction, il y en a pour vingt ans, et encore le processus n’est-il pas fini. Comment et pourquoi se terminerait-il ? Les masses mondiales n’ont pas voulu choisir entre les forces militaires israéliennes et les fondamentalistes du Hamas utilisant des méthodes terroristes.
C’était inévitable. Pourquoi les masses iraient-elles considérer que le Hamas puisse apporter quoi que ce soit de positif au progrès dans le monde ? Entre l’omniprésence de la religion et la démarche patriarcale-militariste, il n’y a rien pour plaire.
Reste la cause palestinienne. Mais les masses mondiales ne voient pas en quoi celle-ci se distingue du Hamas, qui revendique de la représenter.
Et même les forces censées être de gauche, comme le FDLP ou le FPLP, sont dans l’alliance militaire avec le Hamas (ce qui est plutôt une mise sous tutelle par ailleurs).
Les masses tournent ainsi le dos au Hamas, et en même temps à la Palestine, et de manière inverse, une infime minorité de gens dans le monde adoptent une démarche nationaliste-révolutionnaire et s’imaginent subitement que le Hamas représenterait une résistance populaire et révolutionnaire. Le rejet du Hamas par les masses mondiales produit un fétichisme chez quelques ultras.
Naturellement, les masses ne vont pas pour autant soutenir l’État israélien, et ce malgré l’horreur provoquée par les actions ignobles du 7 octobre 2023, marquées par 1 200 morts et 251 personnes prises en otage. Personne ne peut être dupe sur la démarche israélienne qui vise à anéantir Gaza.
Le sionisme, au-delà de ses prétentions, est une affirmation expansionniste dans les faits. Pour preuve, la nouvelle annonce de représailles israéliennes contre l’Iran à la suite d’un missile envoyé par les Houthis au Yémen contre l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv dimanche 4 mai. On est dans l’escalade permanente.
L’objectif israélien est même très clair : c’est l’expansion territoriale accompagnée de la déstructuration maximale de la société palestinienne. Les Palestiniens étaient déjà prisonniers d’une situation féodale au moment de la naissance de l’État israélien. Il s’agit de les maintenir à ce niveau, de les empêcher de développer une société réelle, avec des traits nationaux significatifs. Et, même, il s’agit de les pousser à l’exode.
On a bien vu, dans ce cadre, comment la nature clanique de la société palestinienne a empêché une opposition nationale unifiée à la destruction de Gaza. C’est même vrai pour le « monde arabe » : il n’y a pas eu de soulèvement en faveur de la Palestine, dans aucun pays arabe.
Devant une telle passivité, l’État israélien, un assemblage religieux avec diverses communautés construit de manière volontaire, plus ou moins artificiellement, s’est d’autant plus précipité dans la démolition, afin de donner vigueur à sa propre idéologie.
Ici, d’ailleurs, le Hamas a servi deux fois l’État israélien. La première fois, en contribuant à la cassure entre Gaza et la Cisjordanie.
Ensuite, en menant une action tellement sanglante et sans lendemain le 7 octobre 2023 que cela a permis la mobilisation générale du côté israélien, permettant un approfondissement d’une démarche déjà mise en place.
Il y a ainsi les centres de détention qui ont systématisé la terreur. Non seulement les arrestations sont administratives, sans accusation formelle ni droits à la défense, mais la torture est de rigueur. L’association israélienne B’Tselem résume ainsi les méthodes employées par l’armée israélienne :
« Actes fréquents de violence sévère et arbitraire, agression sexuelle, humiliation et placement dans des situations dégradantes, conditions insalubres forcées, privation de sommeil, prohibition et mesures punitives visant la pratique du culte religieux, confiscation des biens personnels et collectifs, et refus des traitements médicaux adéquats. »
Or, Israël a une longue pratique de l’emprisonnement comme méthode terroriste. Depuis 1967, 800 000 Palestiniens ont été emprisonnés, soit 20 % de la population et 40 % des hommes. Il n’y a pas eu de modification de la stratégie initiale de la part de l’État israélien.
C’est le prolongement ultra-brutal de ce qui a déjà été mis en place. Le Hamas a littéralement installé une situation permettant à l’État israélien de se lancer de manière éperdue et systématique ce qu’il ne pouvait faire que de manière plus ou moins non officielle, plus ou moins incohérente, de manière tendancielle surtout.
Les Israéliens sont en train de parvenir à leur but : ramener Gaza dans le passé. Faire en sorte qu’il n’y ait tellement rien qu’on soit comme à l’antiquité et que des déplacements de population en masse soient possibles, voire nécessaires. Les Palestiniens avaient déjà du mal à se constituer comme nation, là ils se voient ramenés encore plus en arrière.
Le grand symbole de ce processus, c’est la destruction de Rafah, la grande ville du Sud de Gaza. Un Sud de Gaza où justement l’ensemble de la population palestinienne gazaouie est censée être déportée dans le cadre du nouveau plan israélien.
Rafah abritait 150 000 habitants avant l’opération du Hamas, dont plus de 40 000 personnes dans un camp de réfugié. Des zones entières ont été détruites et la ville est encerclée. Le processus est en cours, il relève du découpage de Gaza.
Mais il relève également de l’anéantissement du tissu urbain. Le but de l’État israélien est d’empêcher une modernisation de la société palestinienne, de bloquer une prolétarisation. En détruisant une ville comme Rafah, dans la partie Sud alors que justement la population doit y être amenée de force, l’objectif est d’empêcher qu’existe un centre idéologique et culturel, qu’il n’y ait aucun accès à la modernité urbaine, au travail moderne.
Peut-on s’imaginer un seul instant que le Hamas, qui est le produit de l’arriération féodale, puisse s’opposer à cette offensive israélienne qui cherche à ramener encore plus en arrière les Palestiniens ? Bien sûr que non. Rien qu’avec le fait que la résistance palestinienne repose uniquement sur des hommes, sur le terrain comme à tous les postes de direction, montre déjà qu’il y a une incapacité à la base à porter un réel projet populaire et démocratique.
La vérité, c’est que les Israéliens font ce qu’ils veulent et que le soutien à la Palestine se contente de constater les faits, que les Palestiniens s’y opposent avec toujours un temps de retard. Ce qu’il faut, c’est une analyse scientifique de ce que fait l’État israélien, c’est une étude populaire et démocratique de cela, afin de permettre l’élévation des consciences et une opposition révolutionnaire. C’est comme lors de l’apartheid : les masses noires étaient isolées, divisées, sans vue d’ensemble.
Ce n’est que par une vue d’ensemble, au moyen d’une compréhension scientifique des phénomènes en cours que les masses sortent de la passivité ou de réactions spontanées, pour passer à la lutte de classe, à l’avancée vers l’avenir.