« La limitation intrinsèque de la littérature de Darwin a été analysée en 1999 par Douglas Caldwell, qui a commencé avec le livre de Darwin de 1859 lui-même.

Les termes utilisés par Darwin et le nombre de fois où ces termes apparaissent incluent : « coups » (ainsi que frapper) 17 fois, « mort (ou mourant) » 16 fois, « détruire (détruit, destruction) » 77 fois, « exterminer (extermination) » 58 fois, « individu » 298 fois, « tuer (tué, tuant) » 21 fois, « parfait (perfection) » 274 fois, « course (courses) » 132 fois, « sélectionné (sélectionne, sélection) » 540 fois, « espèces » 1803 fois.

En revanche, les termes suivants sont absents de L’origine des espèces : association, affiliation, coopérer, coopération, collaborer, collaboration, communauté, intervention, symbiose. »

(Discours à l’université de Barcelone, 2007)

Il y a cinq ans, le 22 novembre 2011, décédait Lynn Margulis et cela a signifié une perte terrible pour la science. En tant que biologiste, elle a pratiquement comblé le vide qui existait dans le matérialisme depuis la découverte de l’ADN.

En effet, la découverte de l’ADN et de l’idéologie que la bourgeoisie a construit à ce sujet – idéologie appelée le néo-darwinisme – ont formé un défi très difficile au matérialisme dialectique : il semblait qu’il était « prouvé » que les individus existent en tant que tels, et que toute évolution est fondée seulement sur les individus.

Le monde vivant a changé parce que certaines personnes étaient plus adaptées, faisant la promotion de leur propre ADN « meilleure », dont la différence dépendait de mutation « aléatoire ».

En outre, cela signifiait que le monde, la réalité en tant que telle, n’avait aucune influence sur les individus, comme l’ADN décidait de toute l’évolution, sans être possiblement modifié par les expériences du monde matériel. L’ADN a été ici un outil magique, existant en dehors du monde matériel et décidant de l’existence des êtres vivants.

Montrant que le néo-darwinisme était une prolongation directe des limitations de Charles Darwin, Lynn Margulis est celle qui a écrasé cette idéologie. Elle l’a fait dans l’étude de la science soviétique de l’époque de Lénine et de Staline. Elle a travaillé ici dans deux domaines. Tout d’abord, la conception de la planète Terre comme une biosphère, conception formulée par Vladimir Vernadsky qui devint célèbre en tant que « l’hypothèse Gaïa ».

Comme Lynn Margulis a noté :

« Même des penseurs cosmopolites qui rejettent le tribalisme n’étendent pas nécessairement leur point de vue à une condamnation de l’anthropocentrisme. La plupart croient toujours que nous, les humains, sommes la plus élevée de toutes les espèces animales. Encore plus de gens pensent que nous ne sommes pas des animaux du tout.

Tout comme la Bible regarde les Juifs comme le peuple élu, l’idée que les gens soient supérieurs à toutes les autres formes de vie, est toujours pris comme allant de soi. De telles idées humaines traditionnelles contrastent avec une perception gaïenne de personnes liées inextricablement, de manière subordonnée, au reste du biote de la Terre qui est un soutien.

Malgré notre auto-focalisation sur eux, les humains sont objectivement seulement une entité fractionnaire et dispensable au sein d’un immense système complexe de plantes, d’animaux et de la vie microbienne.

Ce système Gaïa était là avant que nous, courtoisie de l’évolution, soyons arrivés ; et il sera là après que nous (et nos de plus en plus méconnaissables descendants) ayons disparu. »

(Discours à l’université de Barcelone, 2007)

Ensuite, Lynn Margulis bouleverse la compréhension du monde bactérien en le présentant comme un monde symbiotique, suivant le chemin initié par Constantin Merejkovski (1855-1921) et déployé par Boris Kozo-Polianski (1890-1957).

Cela signifie que Lynn Margulis a formulé le concept de la synthèse dialectique dans le monde bactérien, ce qui donne une véritable explication matérialiste de ce qu’est la vie. Avec Lynn Margulis, nous avons enfin une compréhension matérialiste, même matérialiste dialectique, du principe de l’évolution.

Contrairement à la perspective bourgeoise, la vie est un processus de saut qualitatif et de fusion.

Comme elle le dit dans Marvellous microbes (Microbes Merveilleux), écrit avec Dorion Sagan (son fils avec le célèbre scientifique Carl Sagan) : « La vie n’a pas conquis le globe par le combat, mais par la mise en réseau ».

Cellule procaryote

Cellule procaryote

Ceci est le principe de la symbiogenèse. La symbiogenèse est le chemin de la matière, dans son évolution dialectique. La matière se connecte à la matière, formant des organismes qui sont toujours plus complexes.

Grâce à cette conception de l’évolution par la fusion, Lynn Margulis a d’ailleurs été une des deux personnes à révolutionner la classification des êtres vivants dans les années 1970. Elle propose notamment les super-règnes des procaryotes (les bactéries et les archéobactéries) et des eucaryotes (les autres êtres vivants) comme fondamentaux, puisque les seconds naissent de la fusion des premiers.

Lynn Margulis a en effet émis l’hypothèse suivante : les premières cellules eucaryotes sont issues de la fusion d’au moins deux bactéries, faisant naître le noyau cellulaire – caractéristique distinctive des eucaryotes. Ensuite, ces nouvelles cellules ont fusionné avec d’autres bactéries, des protéobactéries utilisant de l’oxygène et des cyanobactéries utilisant la photosynthèse, produisant les cellules eucaryotes aujourd’hui banales.

Voici comment elle présente cette conception :

« Pour procéder nous devons expliquer comment le concept écologique de « symbiose » diffère du terme relevant de l’évolution de « symbiogenèse ». La symbiose se réfère à la vie commune d’organismes de différentes espèces.

L’endosymbiose, une condition topologique, est une sorte de symbiose où l’un des partenaires vit à l’intérieur d’un autre. Les symbioses, généralement sinon toujours, ont des résultats environnementaux contingents.

La symbiose, qui n’est pas un processus évolutif en soi, se réfère à des associations physiologiques, temporelles ou topologiques, dont le sort est déterminé par l’environnement.

La symbiogenèse, par contre, implique l’apparition de nouveaux tissus, de nouveaux organes, de physiologies ou d’autres nouvelles fonctionnalités qui résultent de l’association symbiotique prolongée. »

(Discours à l’université de Barcelone, 2007)

Une cellule eucaryote végétale

Une cellule eucaryote végétale

Le travail de Lynn Margulis a été reconnu et acclamé dans certains domaines ; néanmoins, elle a généralisé la perspective, considérant toute la vie comme un processus similaire. Cela, bien sûr, ne fut pas accepté et nous devrons attendre que le socialisme ait gagné dans un pays, pour que cette conception soit pleinement acceptée.

Son modèle est conforme au matérialisme dialectique : la vie est un processus avec toujours plus de complexité, avec un saut qualitatif et une fusion. Par conséquent, l’être humain lui-même est le produit d’un long processus de fusion de différents éléments.

Conformément au matérialisme dialectique, le processus de fusion signifie un saut qualitatif: ce n’est pas une association, mais une fusion. D’où la grande valeur de la distinction, que fait Lynn Margulis dans son discours, entre symbiose (des êtres vivants cohabitant mais sans fusion donc) et symbiogénèse.

Ce point est très important et est, en fait, la divergence classique entre l’anarchisme et le communisme. L’anarchisme croit en l’association comme seul processus alors que le communisme sait que le processus universel est celui de la fusion vers des êtres vivants toujours plus complexes.


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