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Le candidat Jair Bolsonaro vient d’être élu ce dimanche 28 octobre 2018 président de la République du Brésil avec près de 55 % des suffrages exprimés. Cette prise de pouvoir de l’extrême droite s’inscrit dans le contexte général de raidissement politique des classes dirigeantes du monde entier.
Colonisé au XVe siècle par l’Empire du Portugal avec Pedro Alvares Cabral, le Brésil s’est largement développé autour de l’ère politique et culture espagnole. Pour le capitalisme européen naissant, le Brésil a été au coeur des rivalités impériales du fait des « ressources » en bois.
Le Portugal, puissance hégémonique, intensifiera la colonisation avec notamment le développement de l’exploitation sucrière, forestière et de café, fondée sur le pouvoir des grands seigneurs locaux et des grands propriétaires terriens (colons).
Une forte résistance des tribus locales face à l’esclavage dans les plantations (révoltes dans la région de Pernambouc, dans le Nord Est) forment un puissant héritage révolutionnaire qui perdure jusque dans l’actuel « Mouvement des Sans Terres ». Face à cette résistance locale le Brésil a été le principal protagoniste de la déportation d’esclaves d’Afrique.
Entre le XVIe et le milieu du XIXe siècle, ce sont près de 5, 5 millions d’africains qui ont été déportés, marquant considérablement le pays, comme par exemple avec la prégnance du mouvement évangéliste.
Cet héritage a amené un développement particulièrement houleux de la bourgeoisie brésilienne, partagée économiquement entre modernisation capitaliste et défense conservatrice de la grande propriété terrienne et divisée idéologiquement entre un catholicisme libéral d’origne européenne et un national-populisme interne au pays.
En 1820, la révolution libérale qui a lieu en Portugal se répercute au Brésil avec la proclamation de l’indépendance brésilienne à São Paolo en 1822 par Don Pedro. Se libérant du colonialisme portugais, cela va produire une monarchie constitutionnelle basée sur une relative opposition aux grands propriétaires (abolition de l’esclavage en 1888). Cela s’accompagne d’une modernisation libérale du pays (chemins de fer, université de Sao Paolo, développement des grandes villes).
Face à leur marginalisation politique, les grands propriétaires – fazenderios – fondent un Parti Républicain dirigé par le Maréchal De Fonseca, un militaire ayant fait ses armes dans la répression des révoltes d’esclaves dans le Pernambouc.
En 1889, dans la pure tradition espagnole du « Golpe », il dirige un coup d’État qui instaure la « Répulica Velha » au service des grands propriétaires terriens, régime qui perdure jusqu’en 1930. République conservatrice versus monarchie modernisatrice, telle est l’expression des contradictions internes à la bourgeoisie brésilienne.
Le régime républicain s’organise autour de la politique du « Café come leite », c’est-à-dire l’alternance au pouvoir des grands propriétaires des régions de l’industrie laitière et bovine de São Paolo et Minas Gerais. Cette domination régionale est renforcée par le modèle fédéral de la République (autonomie de chaque État) et par le droit du port d’armes (répression des paysans par les propriétaires terriens).
La crise générale du capitalisme en 1929 accentue la lutte des classes. Le Parti Communiste, né en mars 1922, cherche à faire intervenir de manière autonome les masses populaires (échec du soulèvement communiste en 1935), renforcé de manière objective par la mutinerie de la colonne de Luis Carlos Prestes en 1925-1927 (portée par des revendications démocratiques).
Ces tumultes sociaux et politiques engendrent une réaction conservatrice avec la « révolution de 1930 », soit le soulèvement de militaires des régions de Sao et de Mineras Gerais dirigé par Getulio Vargas.
Dans la situation de crise sociale et politique est instauré en 1937 par un coup d’Etat militaire, l’« Estado Novo ».
Le régime est dirigé par Getulio Vargas, un avocat et ex militaire, originaire de la riche région de Meras Gerais qui va permettre l’unification temporaire de la bourgeoisie brésilienne. Formé à l’Université de Rio et imprégnée du nationalisme Castillan d’Espagne, Getulio Vargas allie une politique de modernisation nationaliste et un corporatisme inspiré du régime fasciste de Bénito Mussolini.
La période 1945-1964, dite de la « seconde République », est largement instable, marquée par l’opposition entre les forces populistes (Parti travailliste Brésilien et Parti Social-Démocrate) revendiquant l’héritage de Getulio Vargas et l’Union Démocratique Nationale, simple émanation du conservatisme des propriétaires fonciers.
La révolution cubaine de 1959 et l’instabilité politique entraînent le coup d’État militaire de 1964 dirigé par les forces impérialistes extérieures (les militaires putschistes ont été formés à l’École Supérieure de Guerre à Rio où était enseignée la doctrine française de la « guerre contre-révolutionnaire »).
Isolées des populations, ni la « guérilla urbaine » de l’Action de Libération Nationale dirigée par Carlos Marighella (héritage de Luis Carlos Prestes), ni la guérilla rurale du PCdoB (d’orientation guevariste) dans la région de l’Araguia ne parviendront vaincre la dictature militaire qui se maintient jusqu’en 1985.
Ainsi s’alterne des régimes républicains conservateurs liés aux grands propriétaires terriens et des régimes populistes modernisateurs dans un pays où le mouvement révolutionnaire a toujours été faible et isolé.
Comment situer Jair Bolsonaro dans cette longue histoire spécifique des luttes de classes au Brésil ?
Constatons d’emblée qu’en tant que militaire de profession, Jair Bolsonaro s’inscrit dans la tradition brésilienne mettant l’armée au centre de la dynamique du pays.
De plus, il est important de noter qu’il a construit son expérience politique dans les rangs des partis modernisateurs, et notamment du Parti Travailliste Brésilien (PTB). Le PTB, fondé en 1945 par Getulio Vargars lui-même puis suspendu par la dictature militaire, s’est ensuite reconstitué en 1981. En filiation avec son héritage, il a toujours développé un populisme de gauche pour mobiliser la population à des fins de modernisation nationaliste.
Dans cette perspective, Jair Bolsonaro puise son héritage à la fois dans l’appareil militaire et à la fois dans le populisme de Vargas. Si la dictature militaire de 1964-1985 a été un mouvement d’exception piloté par « en haut », il est clair que l’actuelle élection de Jair Bolsonaro puise sa puissance dans la mobilisation populaire par « en bas ». Ainsi, la prise du pouvoir par le Parti Social-Libéral représente clairement une synthèse fasciste, attestée par ses scores très élevés dans le Sud du pays (base historique des grands propriétaires conservateurs).
Soutenu par la communauté évangéliste et par l’élection de 73 membres ou ex-membres des forces de l’ordre à la Chambre et au Sénat, Jair Bolsonaro peut compter sur la popularité de l’appareil répressif dans un contexte d’ultra-violence entre gangs.
De plus, cette asphyxie politique s’appuie culturellement sur le déchaînement raciste et misogyne, largement entretenu par le mouvement évangéliste et sa capacité de mobilisation populaire.
Le général, Hamilton Mourao, qui devrait devenir le vice-président a ainsi parlé de probable « auto coup d’Etat en cas d’« anarchie », et dans la ville de Niteroi (en face de Rio), l’armée de terre a paradé dans les rues pour acclamer la victoire de Jair Bolsonaro.
Mais il serait erroné de dire que le mouvement de Bolsonaro représente une crispation des classes moyennes. Il représente avant tout la défense acharnée de la bourgeoisie chauvine qui mobilise de manière démagogique une partie du peuple.
Dans le cas particulier du Brésil, il est notable que ses principaux soutiens se trouvent concentrés autour du secteur ultra-réactionnaire de l’agriculture, comme la bancada ruralista ou Albilio Diniz, principal actionnaire de Carrefour qui a massivement financé la campagne de l’agro-businessman Frederico d’Avila, représentant au Sénat du Parti Social-Libéral.
Or, ce que représente Jair Bolsonaro pour la Biosphère est bien le danger principal car la déforestation qui se joue au Brésil est un problème qui regarde l’Humanité toute entière dans une période où les alertes scientifiques appellent à la baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre.
Décidé de fusionner le ministère de l’« environnement » avec celui de l’agriculture en dit long sur l’ouverture des vannes pour l’accumulation du capital. Cette politique d’« open bar » s’accompagne d’attaques envers des administrations qui ne jouent pourtant déjà qu’un bien faible contre-poids.
Il y a par exemple ce chantage insupportable envers l’accord de la COP 21 à par rapport à l’abandon de la « Triple A », projet de couloir écologique transversal prévoyant des sanctuaires naturels.
Le Parti Social-Libéral prévoit aussi le musellement de « l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama) » qui forme pourtant déjà une bien maigre législation encadrant la déforestation. Enfin, il est prévu de passer outre l’ICMbio (Institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité – Chico Mendes étant un grand syndicaliste brésilien dans les plantations de latex) afin d’accélérer les projets miniers et forestiers.
La forêt Amazonienne qui s’étend en grande partie au Brésil est pourtant l’un des plus grands puits à carbone de la planète (limitant le réchauffement climatique). C’est le fameux « poumon » de la planète. Or, selon le Fonds Mondial pour la Nature, si l’exploitation se maintient au rythme actuel, 55 % de sa surface aura disparu en 2030, puis, selon certains scientifiques, la totalité de la forêt amazonienne d’ici 2050.
Plus grande forêt tropicale du monde, l’Amazonie a perdu pour la seule période 2014-2015, près de 6 000 km de superficie, ce qui représente une explosion de 16 % ! Entre 1989 et 2002 c’est environ 15 000 km² qui ont été engloutis, soit l’équivalent de la forêt landaise, la plus grande d’Europe. Cette déforestation est engendré par les exploitations boisières (1 arbre pour le marché détruit 7 arbres en moyenne) et les mines d’or, de cuivre, d’étain, et de diamant. Il y a également la production de caoutchouc qui nécessite la saignée des véats (espèce d’arbre particulière).
Mais l’exploitation économique directe n’est pas la seule cause de la déforestation. Derrière, il y a également la logique générale du mode de production capitaliste qui participe de l’écocide en cours en Amazonie.
En effet, avec une surface qui s’étend sur 40 % de la superficie du Brésil, les 200 millions d’habitantEs du Brésil grignotent toujours plus la forêt avec la politique du « Front Pionnier » (colonisation des terres vierges pour l’agriculture). Une solution démocratique pour résoudre cette problématique est le puissant Mouvement des Sans-Toits, en filiation avec le Mouvement des Sans Terres, qui occupent les maisons vides des grandes métropoles. Mais Jair Bolsonaro a affirmé sa volonté de réprimer durement ces mouvements populaires.
Enfin, la forêt amazonienne ce ne sont pas moins de 2 millions et demi d’espèces menacées et 200 types d’arbres différents (contre en moyenne 6 dans les forêts européennes). Il y a de quoi avoir la rage !
Jair Bolsonaro représente une offensive générale de la bourgeoisie dans l’exploitation de la classe ouvrière brésilienne dans un contexte marqué par un aiguisement de la concurrence capitaliste mondiale.
En définitive, le Brésil vient épaissir le brouillard qui obscurcit toujours plus la perspective révolutionnaire car au moment où Jair Bolsonaro est élu, c’est le parti d’extrême droite AFD en Allemagne qui vient d’entrer dans les derniers parlements régionaux où il était absent. Cela suit la logique d’ascension du fascisme en Italie, USA, Pologne, Hongrie, Autriche, Turquie…
Il est maintenant tant que les forces révolutionnaires cessent de nier la lutte des classes et la réalité de la classe ouvrière, de son héritage historique car l’accession de Jair Bolsorano révèle que la bourgeoisie sait très bien puiser dans son héritage national pour défendre son pouvoir.