CONFÉRENCE DE FORMATION DU KOMINFORM. JDANOV : INTERVENTION DE CLÔTURE (27 SEPTEMBRE 1947)

Échange de vues très élevé. Unanimité 1. Prend la parole pour des remarques de détail. Sentiments de satisfaction à la suite des déclarations des Français et des Italiens. Nous désirons ardemment que leurs déclarations se réalisent. Nous sommes d’accord que lorsque nous parlons de la tactique et de la stratégie des Français et des Italiens, nous avons en vue non des modifications de détail, mais une orientation, une politique nouvelle. L’une des tâches essentielles de la Conférence est celle-là. Je ne veux pas en remettre. Il n’y a pas lieu de dire : « Revenons à nos moutons ». Pour dissiper toute équivoque, je veux dire que nous ne sommes pas du tout contents de la déclaration de Duclos selon laquelle le P.C.F. est un Parti du gouvernement. Entre vouloir être un Parti du gouvernement et l’être vraiment, il y a autant de différence qu’entre désir et réalité. Je pense que Duclos comprendra notre critique. Les camarades français doivent déclarer que les communistes ne portent pas la responsabilité du gouvernement français actuel (Duclos intervient pour dire que cela a été une erreur). Il fallait dire tout de suite que le P.C.F. est un Parti d’opposition. Staline est satisfait de la déclaration de Duclos. Je pense que Duclos est d’accord avec nous que nous ne voulions pas dire qu’il fallait faire l’insurrection 2 : est-il avantageux de montrer ses cartes à l’ennemi ? Dire : « Je ne suis pas armé » ? Dans ce cas, l’ennemi dira : « Bon, je tire ! » . La loi de la lutte des classes est telle que seule la force compte.

La discussion a montré que tout le monde est d’accord sur le développement de la situation, sur les changements intervenus dans les différents pays. Il y a toujours le danger de pratiquer une politique uniforme dans différents pays. Ce serait là une erreur. La ligne de résistance contre les Anglo-US dans les différents pays ne passe pas par les mêmes endroits que celle contre les Allemands. Cela revient à schématiser. Notre nouveau programme, clair et sincère, nous amènera d’autres alliés qui remplaceront ceux qui nous ont quittés.

Droite et gauche, réactionnaires et progressistes sont pour nous autres marxistes des définitions nullement rigides mais relatives. On ne saurait parler de la droite et de la réaction sans dire où et dans quelle situation.

Cela est valable partout surtout lorsqu’il y a de grands changements. Considérons la Gauche. Gauche avec guillemets ou sans guillemets. Gens de gauche qui veulent collaborer ou non. Amis de la Démocratie populaire et les autres, qui veulent l’indépendance et les autres. On a l’habitude de penser que les Social-Démocrates sont toujours plus proches de nous. Mais une situation politique déterminée peut les placer plus à droite que les autres. Le problème n’est pas nouveau. Aussitôt après l’autre guerre lorsque Lénine parlait des alliés dans la lutte de Libération des peuples, il affirmait que l’émir d’Afghanistan était plus à gauche que Renaudel 3, lequel soutenait l’impérialisme. Si nous considérons les socialistes comme plus à gauche, il peut se présenter une situation dans laquelle ils auront pour tâche de sauver la bourgeoisie. Ramadier n’est-il pas la carte la plus sûre de la bourgeoisie, son meilleur atout ! Il peut arriver que les socialises nous transmettent l’influence des impérialistes, s’ils se livrent à des marchandages dont l’enjeu est l’indépendance nationale, s’ils sont les ennemis des peuples démocratiques, ils peuvent très bien devenir les principaux ennemis et c’est contre eux que nous devons commencer notre tir. Nous voulons que la France soit un pays fort et puissant. Mais à présent, après la trahison de la bourgeoisie et de la Social-démocratie française, après la faillite de la tentative des Partis bourgeois de placer la France sur la voie de la Reconstruction, après qu’il est devenu évident qu’ils orientent la France vers un Sedan économique et politique, il est non moins évident que la France sera prospère et forte sous la direction de la classe ouvrière et du Communisme, ou elle ne sera pas.

Deux remarques pour Longo. J’ai l’impression qu’il estime que la lettre du C.C. du 16 août répond à la critique qui a été faite ici. (Longo dit qu’il a cité la lettre pour montrer que les Italiens avaient déjà commencé l’autocritique). Il ne s’agissait pas d’un changement de détail, mais de changer de fond en comble toute la politique. Telle est l’impression que nous emportons de cette conférence. Trois observations capitales sur les erreurs du P.C.I. Il n’appartient pas au C.C du P.C.I. de dire aux Démocrates Chrétiens qu’ils ont une place dans le nouveau gouvernement, ils ne méritent pas encore cette place.

Je pense qu’il n’y a pas lieu de dire d’avance les Partis qui entreront dans le nouveau gouvernement avant que les Communistes aient créé des conditions nouvelles 4. Ce n’est que lorsque la critique aura été exposée aux masses et que de nouveaux alliés se seront manifestés que l’on pourra décider. On ne peut vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

(…)

J’estime que l’unanimité a une grande signification. Il y a unité dans l’analyse et dans les résultats. Unité et solidarité dans le choix des tâches, en dépit de la longue rupture et de la séparation. Nous avons pu nous rendre compte que nos pays marcheront vers le Socialisme et le Communisme partout où la force qui animera le mouvement sera l’avant-garde du prolétariat animée de la théorie de Marx, Engels, Lénine et Staline. L’avant-garde qui porte la nouvelle civilisation humaine. Les liens qui unissent les Partis qui représentent les Communistes d’Europe, c’est-à-dire des millions d’hommes, nous assurent que dans les combats de grande envergure comme les batailles de moindre importance, la classe ouvrière remportera la victoire.

(Reale, Avec Jacques Duclos au banc des accusés, 1958. D’après Ligne rouge, Staline contre le révisionnisme, I).

  1. Tout le monde s’est dit d’accord avec le rapport Jdanov.
  2. Il s’agit de 1947, au moment où le Parti a été évincé du gouvernement. Jdanov entend qu’il était possible de faire pression sur la bourgeoisie sans encore passer à l’insurrection.
  3. Renaudel : un des chefs de file de l’aile droite de la Social-Démocratie française. Positions social-chauvines pendant et après la 1ère Guerre mondiale. En 1933, il provoque la scission de l’aile droite de la S.F.I.O. pour constituer un parti fasciste de type dorioriste.
  4. Allusion aux possibilités créées par le développement des grèves dans le pays.

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