I Le procès du centre terroriste trotskiste-zinoviéviste (1936)
II Le procès du centre antisoviétique trotskiste (1937)
III Le procès du « Bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviétique (1938)
(1) PIATAKOV – (…)
A peu près vers la fin de 1935, Radek recevait une lettre circonstanciée, une instruction de Trotski. Celui-ci, dans cette directive, proposait deux variantes sur la possibilité pour nous d’arriver au pouvoir. La première variante était la possibilité d’y arriver avant la guerre ; et la seconde variante, pendant la guerre. La première variante, Trotski se la représentait comme le résultat, ainsi qu’il le disait, d’un coup terroriste concentré ; il avait en vue l’accomplissement simultané d’actes terroristes contre un certain nombre de dirigeants du Parti communiste de l’URSS, de l’Etat soviétique et, bien entendu, en premier lieu contre Staline et ses plus proches compagnons.
La deuxième variante, qui, selon Trotski, était plus probable, était la défaite militaire. La guerre étant, selon lui, inévitable, et dans le plus bref délai – guerre d’abord avec l’Allemagne, et, peut-être, avec le Japon – il s’agissait, par conséquent, d’obtenir, par un accord correspondant avec les gouvernements de ces pays, une attitude favorable à l’accession du bloc au pouvoir et, par suite, grâce à une série de concessions faites à ces pays, à des conditions fixées d’avance, de s’assurer leur soutien pour se maintenir au pouvoir. Mais comme, ici, la question du défaitisme, du sabotage militaire, de la nécessité de porter des coups sensibles à l’arrière et à l’armée pendant la guerre, était posée avec acuité, cela provoqua, chez Radek et chez moi, une immense inquiétude. Il nous semblait que cette orientation de Trotski vers l’inévitabilité de la défaite, s’expliquait, dans une notable mesure, par son isolement et son ignorance des conditions concrètes, par son ignorance de ce qui se faisait ici, par son ignorance de ce qu’était l’Armée rouge ; c’est ce qui expliquait de telles illusions. Cela nous amenait, Radek et moi, à la nécessité de tenter une entrevue avec Trotski.
VYCHINSKI – Accusé Radek, avez-vous reçu, en 1935 ou un peu plus tôt, deux lettres ou peut-être plus, de Trotski ?
RADEK – Une lettre en avril 1934, une seconde en décembre 1935.
VYCHINSKI – Leur contenu correspond à ce qu’a dit ici Piatakov ?
RADEK – En substance, oui. Dans la première lettre, il était question, en somme, d’accélérer la guerre, condition souhaitable pour l’arrivée des trotskistes au pouvoir. Quant à la seconde lettre, elle développait pour ainsi dire ces deux variantes : l’arrivée au pouvoir pendant la paix et l’arrivée au pouvoir en cas de guerre.
Dans la première lettre, les conséquences sociales des concessions proposées par Trotski n’étaient pas exposées. S’il s’agissait de conclure un marché avec l’Allemagne et le Japon, aucun marché ne se serait, certes, fait pour les beaux yeux de Trotski. Mais il n’exposait pas dans cette lettre le programme des concessions. Dans la seconde lettre, il était question de la politique sociale et économique que Trotski considérait comme indispensable, comme partie intégrante d’un pareil marché, après l’arrivée des trotskistes au pouvoir.
VYCHINSKI – En quoi consistait-elle ?
RADEK – Cette formule, c’était le retour au capitalisme, la restauration du capitalisme. La chose était voilée. La première variante renforçait les éléments capitalistes ; il s’agissait de la transmission, à titre de concessions, d’entreprises économiques importantes aux Allemands et aux Japonais ; d’engagements de fournir à l’Allemagne des matières premières, des produits alimentaires, des graisses, à des prix inférieurs aux prix mondiaux. Les conséquences intérieures de ce fait étaient évidentes. Autour de concessionnaires allemands et japonais se concentreraient les intérêts du capital privé en Russie. En outre, toute cette politique était liée au programme de rétablissement du secteur individuel, sinon dans l’ensemble de l’économie agricole, du moins dans une partie importante. Mais, si, dans la première variante, il s’agissait d’un rétablissement important des éléments capitalistes, dans la seconde, il était question des contributions et de leurs conséquences, ainsi que de la transmission aux Allemands, au cas où ils l’exigeraient, des usines qui seraient d’une valeur spéciale pour leur économie. Etant donné que, dans cette même lettre, il se rendait déjà parfaitement compte que c’était là la renaissance du commerce privé dans de vastes proportions, le rapport numérique de ces facteurs marquait le retour au capitalisme, sous lequel subsisteraient encore des restes de l’économie socialiste, devenus alors de simples éléments de capitalisme d’Etat. (II, p. 59-60)
PIATAKOV – En ce qui concerne la question internationale, Trotski posait avec une acuité particulière la question relative à la préparation de cadres d’agents de diversion. Il nous reprochait de ne pas nous occuper assez énergiquement d’actes de diversion, de sabotage et de terrorisme.
Il déclara s’être entendu, d’une façon absolument précise, avec le gouvernement fasciste allemand et le gouvernement japonais, quant à leur attitude favorable au cas où le bloc trotskiste-zinoviéviste arriverait au pouvoir. Puis il fit cette réserve que, cela allait sans dire, cette attitude favorable n’était pas le fruit d’un amour spécial de la part de ces gouvernements pour le bloc trotskiste-zinoviéviste. Il faisait tout simplement état des intérêts réels des gouvernements fascistes et de ce que nous avions promis de faire pour eux, en cas d’accession au pouvoir.
VYCHINSKI – Et qu’avait-il promis ?
PIATAKOV – D’abord, je dois donner ici une petite explication. Trotski déclara derechef que, sous cet angle encore, sous l’angle des pourparlers qu’il menait et des résultats qu’il avait déjà obtenus, il importait éminemment d’augmenter les forces actives concrètes, réelles.
Il me dit alors qu’il menait d’assez longs pourparlers avec le vice-président du parti national-socialiste allemand, Hess. Il est vrai que je ne puis dire s’il existe un accord signé de lui ou si c’est simplement une entente ; toujours est-il que Trotski me parlait de tout cela comme d’un accord existant, lequel, il est vrai, devait être encore officiellement établi, par l’entremise de certaines autres personnes dont je parlerai en audience à huis clos.
A quoi se ramène proprement cet accord, s’il faut le formuler brièvement ? Premier point : les fascistes allemands promettent au bloc trotskiste-zinoviéviste une attitude favorable et leur appui en cas d’accession du bloc au pouvoir, en temps de guerre comme avant la guerre, si cela réussit. En retour, les fascistes reçoivent la compensation suivante : une attitude générale favorable aux intérêts allemands, au gouvernement allemand, dans toutes les questions de politique internationale ; certaines concessions territoriales, qu’il faudrait faire, étaient concrétisées ; en particulier, il s’agissait de concessions territoriales sous une forme voilée, à savoir la « non-résistance aux forces nationales bourgeoises ukrainiennes, en cas de leur auto-détermination ».
VYCHINSKI – Qu’est-ce à dire ?
PIATAKOV – Cela veut dire, sous une forme voilée, ce dont a parlé ici Radek : si les Allemands installent un gouvernement ukrainien à eux – en gouvernant non pas au moyen d’un gouverneur-général allemand, mais peut-être par un hetman – en tout cas ce sont eux qui « auto-détermineront » l’Ukraine, et le bloc trotskiste-zinoviéviste ne s’y opposera pas. Au fond, c’était le démembrement de l’URSS.
Le point suivant de l’accord était relatif à la forme sous laquelle le capital allemand aurait la possibilité d’exploiter en URSS les ressources de matières premières dont il a besoin. Il s’agissait de l’exploitation de mines d’or, de pétrole, de manganèse, des forêts, de l’apatite, etc.
En un mot, il avait été décidé en principe entre Trotski et Hess, que le capital allemand serait admis et recevrait le complément économique nécessaire ; mais que les formes concrètes de cette participation feraient, évidemment, l’objet d’une étude complémentaire.
Le dernier point dont je me souviens touchait les concessions ; il me semble que c’est bien cela.
VYCHINSKI – En ce qui concerne les actes de diversion, en cas de guerre ?
PIATAKOV – C’est le dernier point. Cela, je m’en souviens bien. Et, enfin, le point le plus pénible qui, d’une façon générale, montre notre physionomie nettement, sans fard, avait été également formulé lors de cet accord entre Trotski et Hess. Il est vrai qu’aujourd’hui je ne pourrais affirmer qu’il entrait dans la conception de l’accord entre Hess et Trotski dont j’ai parlé tout à l’heure – c’était un accord spécial, à part, mais ce point entrait dans la conception générale de l’accord, à savoir : pour autant qu’entre Hess et Trotski avaient été discutées les questions de la guerre et d’un coup d’Etat militaire, de l’accession au pouvoir, c’est-à-dire de la défaite de l’URSS – il était évident que Hess avait, tout naturellement, posé la question : vous menez la lutte là-bas, mais nous, en l’occurrence, nous représentons une force beaucoup plus organisée et mieux armée. La chose est claire : du moment qu’il s’agit d’une entente, il faut qu’il y ait entente. En cas d’agression militaire, il faut coordonner les forces de sape de l’organisation trotskiste, qui œuvreront à l’intérieur du pays, avec les forces extérieures qui œuvreront sous la direction du fascisme allemand. Le travail de diversion et de sabotage, qui est réalisé par l’organisation trotskiste-zinoviéviste en URSS, doit se faire sur les indications de Trotski, lesquelles doivent être concertées avec l’état-major général allemand.
Vers la fin, l’entretien s’engagea sur cette question : avec l’aide de telles ou telles forces extérieures, le bloc trotskiste-zinoviéviste accède au pouvoir, c’est nous par exemple qu’on installe au pouvoir. Alors se poserait la question des concessions que nous avions prévues, plus une série d’autres que nous avions également envisagées, plus la nécessité d’apaiser en quelque sorte les forces que nous aurions mobilisées pour la lutte contre Staline, c’est-à-dire les forces hostiles. Sous ce rapport, pour des considérations d’ordre intérieur, il faudrait opérer un recul notable, sans parler de concessions extérieures. Radek a eu raison de parler d’un certain recul à la ville et à la campagne, comme l’autorisation du commerce capitaliste, etc. Bref, Trotski posait la question de telle sorte qu’il s’agissait d’un recul très sérieux ; il dit exactement : vous et Radek, vous êtes encore sous l’empire des vieilles idées de 1925-1926, et vous ne vous représentez pas, qu’au fond, l’arrivée au pouvoir signifierait que nous devrions fortement reculer vers le capitalisme. Sous ce rapport, Trotski disait que, au fond, nous n’avions qu’un seul programme avec les droitiers, pour autant que ceux-ci aient accepté le programme d’actes de diversion et de sabotage et considèrent qu’il faut reculer vers le capitalisme. Trotski exprimait sa très grande satisfaction quand je lui eus raconté les entretiens que Sokolnikov, puis moi, avions eus avec Tomski et quel était le contact que Radek et moi avions avec Boukharine. Il dit que cela n’était pas seulement une mesure tactique, c’est-à-dire l’union dans la lutte contre un seul et même ennemi, mais que c’était aussi une union ayant une certaine importance de principe.
VYCHINSKI – Alors, qu’y avait-il de nouveau dans ce que vous a dit Trotski en 1935 en comparaison de ce qu’il vous avait dit auparavant et dont vous vous inspiriez dans votre activité criminelle ?
PIATAKOV – Ce qu’il y avait de nouveau, si vous voulez, a été formulé d’une manière assez nette ; l’organisation trotskiste se transformait au fond en appendice du fascisme. (II, p. 68-70)
VYCHINSKI (à Radek) – Vous avez dit qu’il y avait une deuxième lettre de Trotski datée de décembre 1935. Veuillez bien en parler.
RADEK – J’ai reçu cette lettre au début de décembre ; ce n’était plus une information politique ayant un caractère de principe, mais l’ébauche de cette deuxième variante du programme.
VYCHINSKI – Puisqu’on l’a entendue hier, je pense que le tribunal n’aura rien à y objecter ; vous devez exposer l’essentiel.
RADEK – L’essentiel, c’est, d’abord, la perspective internationale. Elle consiste en ce que la victoire du fascisme allemand ouvre une période de fascisation de l’Europe et la victoire du fascisme ; dans les autres pays, la défaite de la classe ouvrière et l’absence de perspectives révolutionnaires jusqu’à un certain tournant, que peut provoquer une certaine guerre internationale. Cela en premier lieu. L’essentiel était, en second lieu, que deux variantes avaient été mises en avant.
VYCHINSKI – Il en a été parlé hier.
RADEK – La première variante était, pour lui, une variante non réelle : l’accession au pouvoir, sans la guerre.
VYCHINSKI – C’est-à-dire sans la défaite ?
RADEK – Donc, ce qui restait de réel, c’était d’accéder au pouvoir, par suite d’une défaite. Et cette accession au pouvoir, par suite d’une défaite, signifiait que si, auparavant, Trotski à l’étranger et nous, ici à Moscou, nous parlions, jusqu’à ce moment-là, d’une retraite économique sur la base de l’Etat soviétique, cette lettre marquait un tournant radical. Premièrement, Trotski considérait que la défaite aboutirait à la nécessité de faire des concessions territoriales et il désignait précisément l’Ukraine. Deuxièmement, il était question du partage de l’URSS. Troisièmement, au point de vue économique, il prévoyait les conséquences suivantes de la défaite : non seulement concession d’entreprises industrielles importantes aux Etats capitalistes, mais aussi transmission, vente aux éléments capitalistes, à titre de propriété privée, d’entreprises économiques importantes qu’ils désigneraient eux-mêmes. Trotski prévoyait des emprunts par émissions d’obligations, c’est-à-dire l’admission du capital étranger à l’exploitation d’usines qui, pour la forme, seraient restées entre les mains de l’Etat soviétique.
Dans le domaine de la politique agraire, il posait nettement la question de dissoudre les kolkhoz et exprimait l’idée de mettre à la disposition des paysans individuels les tracteurs et autres machines agricoles complexes pour faire renaître une nouvelle couche de koulaks. Enfin, la nécessité de faire renaître le capital privé dans les villes était posée de façon absolument nette. Il était clair qu’il s’agissait de la restauration du capitalisme.
Au point de vue politique, ce qu’il y avait de nouveau dans cette lettre, c’était la façon d’envisager la question du pouvoir. Trotski y disait : il ne peut être question d’aucune espèce de démocratie. La classe ouvrière a vécu dix-huit années de révolution et ses appétits sont immenses et ce sont ces ouvriers qu’il faudra renvoyer en partie dans les fabriques privées, en partie dans les fabriques de l’Etat auxquelles le capital étranger fera la concurrence la plus dure. Cela signifie qu’il se produira une aggravation brutale de la situation de la classe ouvrière. A la campagne, la lutte des paysans pauvres et moyens contre les koulaks recommencera. Et alors, pour se maintenir, il faudra un pouvoir fort, quelle que soit la forme sous laquelle il sera dissimulé.
Si vous voulez des analogies historiques, prenez le pouvoir de Napoléon Ier, ce n’était pas la Restauration – la Restauration vint plus tard – c’était une tentative de conserver les principales conquêtes de la Révolution, ce qu’on pouvait en conserver.
Voilà ce qu’il y avait de nouveau dans cette lettre. Il se rendait compte que le maître de la situation, grâce à laquelle le bloc pourrait arriver au pouvoir, était le fascisme, d’une part le fascisme allemand et, d’autre part, le fascisme militaire sans l’aide duquel le boc ne pouvait prendre le pouvoir.
Enfin, il y avait ceci de nouveau, – or loin d’être l’essence, c’était un paravent, un exposé de ces perspectives, – c’est qu’il faudrait accepter tout ; mais si nous restions vivants et si nous étions portés au pouvoir ce serait le résultat de la victoire de ces deux pays. Du fait qu’ils auraient pillé, qu’ils se seraient enrichis, la bataille commencerait entre eux et les autres, et alors viendrait notre nouveau développement, notre revanche. Mais c’était là une perspective purement littéraire. Telle était l’essence de cette première directive.
Il y avait encore un point très important dans cette directive, à savoir l’idée qu’il serait inévitable de rajuster le régime social de l’URSS à celui des pays du fascisme victorieux si, en général, nous voulions nous maintenir au pouvoir. Ce terme « rajuster » qui était le pseudonyme de restauration du capitalisme, était ce qu’il y avait de spécifiquement nouveau dans cette directive, ce qui nous a sauté aux yeux immédiatement.
VYCHINSKI – Ainsi, si l’on voulait résumer brièvement cette lettre, à quoi se réduiraient ses points essentiels ?
RADEK – Nous étions restés sur notre position de 1934 : nous considérions la défaite comme inévitable.
VYCHINSKI – Et quelle conclusion en tiriez-vous ?
RADEK – La conclusion était que par suite de cette défaite inévitable, la question de la restauration du capitalisme se posait ouvertement devant nous.
VYCHINSKI – Ainsi, cette restauration du capitalisme que Trotski appelait rajuster le régime social de l’URSS à celui des pays capitalistes, devait être considérée comme le résultat inévitable d’un accord avec les pays étrangers ?
RADEK – Comme le résultat inévitable de la défaite de l’URSS, comme la conséquence sociale de cette défaite et d’un accord conclu sur la base de cette défaite.
VYCHINSKI – Et après ?
RADEK – La troisième condition était la plus nouvelle pour nous : substituer au pouvoir soviétique ce que Trotski appelait un pouvoir bonapartiste. Il était clair pour nous qu’il s’agissait d’un fascisme sans capital financier propre, mais au service du capital étranger.
VYCHINSKI – Et la quatrième condition ?
RADEK – La quatrième condition était le partage du pays. L’Allemagne devait recevoir l’Ukraine ; la Province Maritime et la région de l’Amour devaient être cédées au Japon.
VYCHINSKI – A-t-il été question à ce moment d’autres concessions économiques ?
RADEK – Oui, les décisions dont j’ai déjà parlé ont été accentuées. Il a été question du paiement de contributions en nature pendant de longues années : livraison de denrées alimentaires, de matières premières et de graisses. Au début, Trotski n’avait pas indiqué de chiffres ; mais ensuite, il indiqua d’une façon plus précise un certain pourcentage de la participation des pays victorieux aux exportations en URSS. Tout cela pris dans son ensemble, signifiait l’asservissement total du pays.
VYCHINSKI – Était-il question du pétrole de Sakhaline ?
RADEK – Oui. En ce qui concerne les pays danubiens et balkaniques, Trotski disait dans cette lettre que l’expansion du fascisme allemand se poursuivait et que nous ne devions en aucune façon nous y opposer. Il s’agissait naturellement de la rupture de toutes les relations avec la Tchécoslovaquie, relations qui, par leur nature, constitueraient une défense pour ce pays. (II, p. 120-123)
(2) REQUISITOIRE DE VYCHINSKI – (…)
Après avoir commencé par sa « théorie » de rebouteux sur l’intégration pacifique des koulaks dans le socialisme, après avoir mené pendant ces dix dernières années une lutte clandestine contre le Parti et le peuple soviétique, Boukharine pouvait-il finir sa carrière politique autrement qu’en grimaçant, qu’en faisant le pitre au seuil même, peut-être de son heure dernière, de l’heure de sa mort !
Ce n’est pas par hasard que Boukharine, Rykov, Yagoda et les autres droitiers en sont arrivés à constituer un bloc d’espionnage avec les trotskistes. Rien d’inattendu qu’un tel bloc se soit constitué et qu’il se soit enfin cristallisé définitivement en 1932. C’est cette direction qu’a suivie toute l’évolution des relations entre droitiers et trotskistes représentant au fond les variétés d’un seul et même phénomène.
Au XVIe Congrès du Parti, en 1930, dénonçant le double caractère du trotskisme, le camarade Staline a dit que cette dualité « …explique le fait qu’après avoir commencé par lancer de soi-disant « furieuses » attaques contre les hommes de la déviation de droite, le trotskisme (cette capitulation dissimulée sous un masque – A.V.), couronne d’ordinaire ces attaques par un bloc avec ces droitiers, capitulards sans masque ».
Les trotskistes et les droitiers sont des capitulards. Les uns sont des capitulards qui se dissimulent sous le masque de phrases « révolutionnaires » hystériques et provocatrices ; les autres sont des capitulards sans masque.
A la XVIIe Conférence du Parti, le camarade Molotov a démontré dans son rapport sur le deuxième plan quinquennal l’affinité d’esprit complète des droitiers et des trotskistes. Les trotskistes opposaient au premier plan quinquennal des contrethèses calomniatrices. Les droitiers leur faisaient chorus en opposant au plan quinquennal stalinien le plan biennal de Rykov.
Les trotskistes répandaient des calomnies sur la croissance des éléments koulaks et sur la dépendance de l’économie d’Etat en URSS vis-à-vis de ces éléments. Les droitiers clamaient de jour en jour que « les exploitations paysannes individuelles (c’est-à-dire celles des koulaks – A.V.) resteraient encore longtemps la source principale de céréales, c’est pourquoi, tout doux quant à l’offensive contre le koulak. »
Les trotskistes dans leurs calomnies criaient haineusement au « thermidor », c’est-à-dire à la faillite de notre Révolution. Les droitiers faisaient chorus en clamant que nos usines et nos fabriques pourraient bien tomber prochainement dans les mains des gardes blancs. Il est vrai que les droitiers se battaient parfois avec les trotskistes, mais comme le camarade Staline l’a déjà démontré, c’étaient des « combats de coqs » que « les déviateurs de droit couronnent habituellement par des pourparlers dans la coulisse, avec les trotskistes, en vue d’un bloc avec ceux-ci ». (Les Questions du Léninisme, p. 421, éd. russe)
Et il en fut de même, d’année en année, au cours de toute notre Révolution, de toute l’existence de l’Etat soviétique.
Comment expliquer cette parenté de positions des trotskistes et des droitiers, leur constante attraction réciproque, leurs efforts continuels pour établir un bloc et, enfin, l’existence de ces blocs aux diverses étapes de leur lutte contre le Parti, contre l’Etat soviétique et l’édification socialiste ?
Bien entendu, cela s’explique avant tout par la base sociale commune aux trotskistes et aux droitiers. Cela s’explique par le fait que les trotskistes et droitiers traduisent la pression exercée par les éléments capitalistes qui résistent aux succès du socialisme et ne veulent pas quitter pacifiquement et sans bruit l’arène historique.
Cela s’explique, nous le savons aujourd’hui, par le fait que les uns et les autres agissaient par ordre des mêmes maîtres installés dans les états-majors généraux et les services d’espionnage des Etat étrangers hostiles à l’URSS.
Trotskistes et boukhariniens se sont placés, il y a bien des années, dans le camp de la contre-révolution. Depuis de nombreuses années, les trotskistes et les droitiers sont devenus les écuyers de la contre-révolution bourgeoise. Depuis de nombreuses années, trotskistes et droitiers fournissent à la bourgeoisie contre-révolutionnaire des armes pour sa lutte contre l’Etat soviétique. Trotskistes et droitiers accomplissent la même ignoble besogne de trahison.
Voici les faits qui acquièrent aujourd’hui un sens nouveau, à la lumière des circonstances qui ont été maintenant établies entièrement et avec une certitude absolue à l’instruction judiciaire, dans le présent procès.
Les faits établissent d’une façon absolument indiscutable que le bloc conclu entre les droitiers et les trotskistes était inévitable et naturel, ainsi que la transformation de ce bloc en une agence des services d’espionnage fascistes de l’étranger.
Comment les trotskistes et les zinoviévistes ont lutté contre Lénine, contre le socialisme, contre les efforts héroïques de la révolution prolétarienne, tendant à édifier en URSS la société nouvelle socialiste, c’est ce que les deux procès précédents ont montré de la façon la plus complète par l’exemple de Piatakov, de Zinoviev, de Kaménev, de Radek, de Smirnov et autres. (…) (III, p. 677-678)
GRINKO – (…) Comme certains autres accusés, je comparais devant la Cour comme agent direct et espion des Etats fascistes et de leurs services d’espionnage, comme allié direct du fascisme dans sa lutte contre l’URSS.
Mais ce n’est pas le fascisme qui m’a fait ce que je suis. Le fascisme a recueilli à son profit les fruits mûrs des longues années de lutte des trotskistes et des droitiers contre le Parti et le pouvoir des Soviets. A Trotski et Boukharine je suis redevable de l’« idéologie », passez-moi le mot, et de l’école de monstrueuse duplicité qui nous a tous amenés au fascisme pur et simple.
Je comparais devant la Cour comme nationaliste bourgeois ukrainien et comme membre du « bloc des droitiers et des trotskistes ». Cette combinaison n’est pas l’effet du hasard. La chasse aux nationalistes bourgeois et la corruption politique des éléments politiques instables dans les Républiques nationales, est la très vieille tactique que les trotskistes et les droitiers ont appliquée de très longue date, avec ténacité.
C’est par le chemin criminel de la trahison que l’organisation nationale-fasciste ukrainienne est venue rejoindre les forces de la contre-révolution groupées dans le « bloc des droitiers et des trotskistes ». Cette organisation nationale-fasciste ukrainienne œuvrait à la fois d’après les directives du « bloc des droitiers et des trotskistes » et d’après les directives des services d’espionnage fascistes. (…) (III, p. 762)
TCHERNOV (…) Comment se fait-il qu’investi d’une immense confiance du Parti, j’ai pu trahir le Parti et devenir un espion du service d’espionnage allemand, et un membre d’une organisation contre-révolutionnaire ?
Ainsi que je l’ai déclaré à la Cour, j’avais été pendant une longue période de temps, un menchévik et non pas un simple membre de l’organisation menchévik, mais dirigeant d’une de ses organisations, de celle d’Ivanovo-Voznessensk. J’étais suffisamment instruit et politiquement averti pour accepter le menchévisme et lutter en toute conscience pour son programme de défense du capitalisme.
J’ai adhéré au Parti communiste alors que les forces de la contre-révolution intérieure étaient écrasées et que la classe ouvrière, guidée par les bolchéviks, était sortie victorieuse de la guerre civile.
Le moment de mon adhésion au Parti communiste a coïncidé avec le début de la Nep, que je n’envisageais pas comme la comprenaient les vrais bolchéviks, mais à ma manière, à la manière menchévik. C’est pourquoi, lorsque le Parti est passé à la politique de limitations des koulaks et des éléments capitalistes dans les villes, à la politique d’offensive et d’écrasement, ma nature menchévik ne put se faire à cette politique, et je commençai à chercher parmi les groupements antisoviétiques au sein du Parti, des partisans, ceux dont les opinions répondaient à mon menchévisme et dont les buts pratiques signifiaient la lutte pour le renversement du pouvoir des Soviets et pour le rétablissement du capitalisme. Je trouvais ces partisans dans l’organisation contre-révolutionnaire des droitiers. La façon de voir et les buts pratiques de cette organisation répondaient entièrement et sans réserve à mes conceptions menchéviks. En 1928, j’étais encore peu de chose dans le Parti. Si je le dis, ce n’est point pour diminuer ma faute ou atténuer mes crimes. Mes crimes sont immenses et monstrueux. A la tête de l’organisation contre-révolutionnaire des droitiers se trouvaient des hommes comme Rykov, Boukharine et Tomski ; et le fait qu’ils avaient pour but de renverser le pouvoir des Soviets et de restaurer le capitalisme, c’est-à-dire qu’ils ont abouti au menchévisme, m’affermissait dans mes positions menchéviks. Ceci a joué un certain rôle dans mon adhésion à l’organisation contre-révolutionnaire des droitiers. (…) (III, p. 765-766)
IKRAMOV – (…) L’organisation contre-révolutionnaire qui existait en Ouzbékistan et que je dirigeais, l’organisation qui a donné la main au « bloc des droitiers et des trotskistes » s’appelait « nationaliste ». Ce nom « nationaliste » pourrait faire croire qu’il s’agissait là d’hommes qui voulaient travailler au profit de la nation ; mais ces hommes ont trahi les intérêts de leur peuple. Et c’est en comprenant cela que je me suis rendu compte combien bas je suis tombé. Combien profonde était ma chute. Voyez, les nationalistes prétendaient travailler pour la nation, mais qu’est-il arrivé en réalité ? En réalité, ils ont fait du mal à l’économie communale, ils ont nui au peuple, ils ont nui à l’amélioration des conditions de vie, ils ont nui à l’agriculture pour compromettre les mesures réalisées par le Gouvernement des Soviets, par le Parti Communiste, pendant que le gouvernement soviétique et le Parti communiste accroissaient la prospérité de la nation. En paroles, les nationalistes cherchaient à obtenir « l’indépendance », mais en fait ils voulaient placer leur pays dans une position dépendante. Les nationalistes qui réclamaient « l’indépendance » atteignaient les travailleurs à la poche, ébranlaient leur bien-être.
Ces actes honteux, il est impossible de les justifier aux yeux de la Cour, aux yeux des travailleurs, et surtout il est impossible de les excuser aux yeux du peuple d’Ouzbékistan.
Le citoyen Procureur a parlé éloquemment de l’essor du bien-être et de la culture des peuples de l’Union Soviétique. Je pense, je suis convaincu que l’Ouzbékistan et, surtout, le rythme de ses progrès, offrent un exemple éclatant, sous ce rapport.
Nous ne faisions que freiner, que gêner cet essor. Sans nous, l’Ouzbékistan aurait obtenu des résultats plus grands, des succès encore plus éclatants. (…) (III p. 800-801)
(3) REQUISITOIRE DE VICHYINSKI – (…)
J’ai demandé, au cours de ce procès, à l’accusé Reingold comment le marxisme se conciliait chez eux avec l’apologie de la terreur et l’activité terroriste. Il a répondu : « En 1932, en présence de plusieurs membres du centre trotskiste-zinoviéviste unifié, dans le logement de Kamenev, Zinoviev a justifié la nécessité d’employer la terreur, disant que, bien que la terreur soit inconciliable avec le marxisme, à l’heure actuelle ces considérations doivent être rejetées, qu’il n’y avait pas d’autres méthodes de lutte contre la direction du Parti et du Gouvernement, que Staline réunit dans sa personne toute la force et la fermeté de la direction du Parti ; aussi faut-il au premier chef supprimer Staline ». Voilà donc une réponse franchement cynique, éhontée, mais parfaitement logique. Voilà donc toute la nouvelle « philosophie de l’époque », de Zinoviev.
Reingold déclare : « Kamenev a développé la même théorie en disant que les anciennes méthodes de lutte – la conquête des masses, les combinaisons au sommet avec les droitiers, la spéculation sur les difficultés économiques – ont échoué. C’est pourquoi l’unique méthode de lutte c’est la terreur, les actes terroristes contre Staline et ses plus proches compagnons : Vorochilov, Kaganovitch, Ordjonikidzé, Kossior, Postychev, Jdanov ».
C’est franc et cynique mais en même temps logique, du point de vue de la logique de la lutte de classes, du point de vue de la logique de notre ennemi en lutte contre le pays du socialisme.
Sans les masses, contre les masses, mais pour le pouvoir, le pouvoir à tout prix, la soif du pouvoir personnel, – voilà toute l’idéologie de cette bande assise sur le banc des accusés. (…) (I, p. 124-125)
(4) YAGODA –
Toute ma vie j’ai porté le masque, je me suis fait passer pour un bolchévik irréductible. En réalité, je n’ai jamais été un bolchévik, dans l’acception réelle du mot.
Mon origine petite-bourgeoise, l’absence d’une préparation théorique, tout cela avait fait que, dès le début de l’organisation du pouvoir des Soviets, je n’avais pas foi en la victoire définitive de la cause du Parti.
Je ne partageais pas les conceptions ni le programme des trotskistes ; cependant, je suivais très attentivement la lutte en cours ; pour ma part, j’avais décidé à l’avance de rallier la partie qui vaincrait dans cette lutte. D’où la ligne particulière que j’ai appliquée à l’époque, dans la lutte contre le trotskisme.
Lorsque commença la répression contre les trotskistes, la question de savoir qui vaincrait (les trotskistes ou le Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’URSS), n’était pas encore définitivement tranchée. Du moins, je le pensais. C’est pourquoi en ma qualité de vice-président de l’Oguépéou je partais dans la politique punitive de ce point de vue, qu’il ne fallait pas dresser contre moi les trotskistes. Je créais pour les trotskistes déportés des conditions qui leur permettaient de poursuivre leur activité. Les choses apparaissaient comme suit : d’un côté, mes entretiens avec Rykov avaient déterminé mes sympathies personnelles pour le programme des droitiers. D’un autre côté, de ce que Rykov me disait à propos des droitiers, qu’à part lui, Boukharine, Tomski et Ouglanov, les droitiers avaient pour eux toute l’organisation de Moscou, l’organisation de Léningrad, les syndicats, – j’avais retiré de tout cela l’impression que les droitiers pouvaient vaincre la lutte contre le Comité Central. Et étant donné qu’à l’époque la question se posait déjà d’un changement de la direction du Parti et du pouvoir de Soviets, il était clair que les droitiers marchaient au pouvoir.
Précisément parce que les droitiers m’apparaissaient comme une force réelle, je déclarai à Rykov que j’étais avec eux.
… C’est pourquoi je m’entendis avec Rykov sur ma situation particulière parmi les droitiers. (III, p. 734)
(5) DEFENSEUR BRAUDE – (…)
Il me paraît nécessaire d’effectuer une petite excursion dans le passé de nos intellectuels.
Je ne pense pas commettre une grande faute si en jetant un coup d’œil rétrospectif dans le passé et en analysant le présent de ces intellectuels, je les divise en trois groupes.
Le premier groupe comprend une faible, une insignifiante partie des intellectuels bourgeois qui, occupant dans le passé des postes de commande au service du capital, se virent obligés par la suite de travailler avec le pouvoir des Soviets. Ce petit groupe s’est signalé durant des années par son sabotage contre-révolutionnaire dans tous les domaines de notre économie, et qui est une des formes de la lutte des classes. Ce sabotage a revêtu les formes le plus variées. Rappelez-vous les saboteurs de Chakhhty, rappelez-vous l’affaire du parti industriel.
Les services du Commissariat du peuple des Affaires intérieures, nos organismes judiciaires ont anéanti ces organisations de sabotage ; mais il en est resté, de-ci de-là, quelques débris, ils ont survécu et continué de temps à autre à se manifester. L’état d’esprit antisoviétique de certains représentants de cette partie des intellectuels offre un terrain propice à l’activité des organisations contre-révolutionnaires et des services d’espionnage étrangers.
Il est un autre groupe, également peu nombreux : c’est cette partie des intellectuels petits-bourgeois qui n’a pas participé au sabotage et qui, durant les années postérieures, a travaillé honnêtement avec le pouvoir des Soviets. Mais ces hommes, resté uniquement des spécialistes, ne se sont organiquement fondus ni avec le Parti, ni avec la classe ouvrière. Ils croyaient que pour avoir le droit à la qualité de spécialistes soviétiques, il suffisait de travailler uniquement dans leur spécialité. Ils ont tout du philistin, du petit-bourgeois, et c’est ce dont profitent souvent les agences ennemies pour les recruter dans leurs rangs.
Enfin le troisième groupe de véritables intellectuels soviétiques d’aujourd’hui, et qui forme la plus grande partie de nos intellectuels, sa majorité écrasante. Ce sont les nouveaux intellectuels soviétiques, issus de profondeurs de la classe ouvrière ; ils se sont enrichis en puisant au trésor de la vieille et de la nouvelle culture ; ils ont été à l’école sévère de la lutte de classe. A ce groupe appartient, notamment, une grande partie des vieux spécialistes, qui se sont organiquement fondus avec la classe ouvrière et dont ils ont acquis les traits remarquables – sa vigilance et son habileté à savoir discerner les ennemis de classe, – ceux qui ont l’honneur de se dénommer « bolchéviks sans-parti ». (…) (III, p. 741-742)
(6) RADEK – (…)
Eh bien, citoyens juges, je termine ma dernière déclaration par les mots suivants. Nous répondrons de nos actes selon toute la rigueur de la loi soviétique, estimant que notre sentence, quelle qu’elle soit, est juste mais nous voulons l’accueillir comme des hommes conscients. Nous savons que nous n’avons pas le droit de parler à la masse n’étant pas ses maîtres. Mais aux éléments qui étaient en liaison avec nous, nous voulons dire trois choses :
Premièrement, l’organisation trotskiste est devenue le centre de toutes les forces contre-révolutionnaires ; l’organisation des droitiés liée à elle et était qui sur le point de fusionner avec elle est également un centre de toutes les forces contre-révolutionnaires du pays. Le pouvoir de l’Etat viendra à bout de toutes ces organisations terroristes. Nous basant sur notre propre expérience, nous n’avons aucun doute là-dessus.
Mais il y a dans le pays des demi-trotskistes, des quarts de trotskistes, des huitièmes de trotskistes, des gens qui nous ont aidés, ignorant l’existence de l’organisation terroriste, ayant de la sympathie pour nous, et qui par libéralisme ou par esprit frondeur à l’égard du Parti, nous ont aidés. Nous disons à ces gens : quand il y a une paille dans la masse d’un marteau, le danger n’est pas encore grand ; mais quand la paille est dans une hélice, cela peut entraîner une catastrophe. Nous nous trouvons à une période de tension extrême, une période d’avant-guerre. A tous ces éléments, devant le Tribunal, et au moment du règlement des comptes, nous disons : celui qui sent dans ses rapports avec le Parti la moindre fêlure dans sa conscience, doit savoir que demain il peut devenir un fauteur de diversions, un traître s’il ne s’applique pas à réparer cette fêlure par une sincérité totale devant le Parti.
Deuxièmement, nous devons dire aux éléments trotskistes de France, d’Espagne et des autres pays – et de tels éléments, il y en a – que l’expérience de la révolution russe a montré que le trotskisme c’est le saboteur du mouvement ouvrier. Nous devons le prévenir qu’ils payeront de leur tête s’ils ne profitent pas de notre expérience.
Enfin, nous devons dire au monde entier, à tous ceux qui luttent pour la paix, que le trotskisme est un instrument des fauteurs de guerre. Nous devons le dire d’une voix ferme, car nous l’avons appris, nous en avons souffert, il nous a été extrêmement dur de le reconnaître, mais c’est un fait historique et nous payons de notre tête pour la vérité de ce fait. (…) (II, p. 572-573)
(7) BOUKHARINE – (…)
Il a été prouvé maintes fois et rabâché des dizaines de milliers de fois, que la déviation de droite, dès qu’elle est apparue, alors qu’elle en était à l’état d’embryon, dès sa naissance a posé la tâche de la restauration du capitalisme. Je ne me propose pas d’en parler. Je voulais toucher un autre côté de la question, à mon sens beaucoup plus important, le côté objectif de cette affaire, parce qu’ici se pose le problème de l’imputabilité et de l’appréciation du point de vue des crimes révélés au procès, d’autant plus que je suis un des leaders figurant au banc des accusés. Ce qu’il faut ici, c’est partir du point de départ.
Les contre-révolutionnaires de droite représentaient, semble-t-il, au début, une « déviation », de ces déviations qui, au premier abord, commencent par un mécontentement au sujet de l’industrialisation, sous prétexte que l’industrialisation ruine la production. C’était, à première vue, l’essentiel. Puis a paru la plate-forme de Rioutine.
Lorsque toute la machine de l’Etat, tous les moyens, les meilleures forces furent mobilisés pour l’industrialisation du pays, pour la collectivisation, nous nous sommes trouvés littéralement en vingt-quatre heures, de l’autre côté, nous nous sommes trouvés avec les koulaks, les contre-révolutionnaires, nous nous sommes trouvés alors avec les débris capitalistes, qui existaient encore à l’époque dans le domaine de la circulation des marchandises. De là la signification essentielle : l’appréciation du point de vue subjectif est claire. Il s’est produit chez nous un processus très curieux de surestimation de l’exploitation individuelle, le passage graduel à son idéalisation, à l’idéalisation du propriétaire. Telle fut notre évolution. Au programme, l’exploitation aisée du paysan individuel ; et le koulak, quant au fond, devient un but en soi. Il ironise sur le compte des kolkhoz.
A l’époque notre psychologie de conspirateurs contre-révolutionnaires s’affirmait de plus en plus, en ce sens : les kolkhoz, c’est la musique de l’avenir. Il faut multiplier les riches propriétaires. Tel était le tournant formidable qui s’était opéré dans notre façon de voir, dans notre psychologie. En 1917 il ne serait venu à l’esprit d’aucun des membres du Parti, moi y compris, de plaindre quelqu’un des gardes-blancs exécutés ; or, dans la période de liquidation des koulaks, en 1929-1930, nous plaignions les koulaks dépossédés, pour des considérations soi-disant humanitaires. Lequel d’entre nous aurait eu, en 1919, l’idée d’imputer la ruine de notre économie, d’imputer cette ruine aux bolchéviks, au lieu de l’imputer au sabotage ? Personne. Cela aurait semblé tout franchement une trahison. Et pourtant, déjà en 1928, j’ai donné moi-même une formule relative à l’exploitation militaire-féodale de la paysannerie, c’est-à-dire que j’imputais les frais de la lutte de classes non point à la classe hostile au prolétariat, mais justement à la direction du prolétariat lui-même. C’est là un tournant à 180°. Cela signifie que sur ce point les plates-formes politiques et idéologiques se sont transformées en plates-formes contre-révolutionnaires. L’économie du koulak et ses intérêts étaient devenus en fait un point du programme. La logique de la lutte aboutissait à la logique des idées et nous conduisait à modifier notre psychologie, à contre-révolutionner nos buts.
Prenez l’industrie. D’abord nous avons clamé contre la super-industrialisation, contre l’excessive tension du budget, etc. Et au fond c’était une revendication de programme, l’idéal d’un pays agraire de koulaks avec, comme appendice, une industrie. Et au point de vue psychologique ? Au point de vue psychologique, nous avons en notre temps préconisé l’industrialisme socialiste, nous avons, avec des haussements d’épaules, avec de l’ironie et puis avec colère, commencé à considérer nos immenses usines en développement, comme des monstres insatiables qui dévorent tout, qui privent des objets de consommation les grandes masses, et nous considérions qu’ils représentaient un certain danger. (…) (III, p. 405-406)
BOUKHARINE – (…) A l’intérieur du pays, notre programme c’était en fait – il faut le dire, ce me semble, en toutes lettres – un glissement vers la liberté démocratique bourgeoise, vers la coalition, parce que du bloc avec les menchéviks, les socialistes-révolutionnaires et les autres, découle la liberté des partis, des coalitions ; et ceci découle tout à fait logiquement du bloc organisé pour la lutte, parce que si l’on choisit ses alliés pour renverser le gouvernement, le lendemain, dans le cas d’une victoire éventuelle, ils seraient co-participants du pouvoir. C’était un glissement non seulement vers la voie de la liberté démocratique bourgeoise, mais, dans le sens politique, vers la voie où il y a incontestablement des éléments de césarisme.
VYCHINSKI – Dites tout simplement de fascisme.
BOUKHARINE – Si dans les milieux du « bloc des droitiers et des trotskistes » il y avait une orientation idéologique vers le koulak et, du même coup, une orientation vers une « révolution de palais » et un coup d’Etat, vers le complot militaire, vers une garde prétorienne de contre-révolutionnaires, ce sont bien en effet des éléments du fascisme.
Si, dans le domaine de l’économie, agissent les éléments du capitalisme d’Etat, dont j’ai parlé…
VYCHINSKI – Bref, vous avez roulé vers le fascisme pur et simple, vers le fascisme déchaîné.
BOUKHARINE – Oui, c’est exact, bien que nous n’ayons pas mis tous les points sur les « i ». La formule qui nous caractérise comme des conspirateurs, comme des restaurateurs du capitalisme est juste à tous les points de vue. Et il est tout naturel que ce phénomène ait été accompagné d’un phénomène de dégénérescence de toute l’idéologie, de toute notre pratique, et de la méthodologie de la lutte. (…) (III, p. 407)
BOUKHARINE – (…) Maintenant je veux parler de moi-même, des causes qui ont amené mon repentir. Certes, il faut le dire que les preuves de ma culpabilité jouent elles aussi un rôle d’importance. Pendant trois mois je me suis confiné dans mes dénégations. Puis je me suis engagé dans la voie des aveux. Pourquoi ? La cause en était que, dans ma prison, j’ai révisé tout mon passé. Car, lorsqu’on se demande : si tu meurs, au nom de quoi mourras-tu ? – c’est alors qu’apparaît soudain avec une netteté saisissante un gouffre absolument noir. Il n’est rien au nom de quoi il faille mourir, si je voulais mourir sans avouer mes torts. Et au contraire, tous les faits positifs qui resplendissent dans l’Union Soviétique, prennent des proportions différentes dans la conscience de l’homme.
Et c’est ce qui m’a forcé à fléchir le genou devant le Parti et devant le pays. Et lorsqu’on se demande : Eh bien ! soit, tu ne mourras pas. Si par un miracle quelconque, tu restes à vivre, quel sera alors ton but ? Isolé de tout le monde, ennemi du peuple, dans une situation qui n’a rien d’humain, totalement coupé de tout ce qui fait l’essence de la vie …
Et aussitôt je reçois la même réponse à cette question. En ces minutes-là, citoyens juges, tout ce qui m’est personnel, toute rancune personnelle, les restes d’irritation, d’amour-propre et bien d’autres choses encore, tout tombe de soi-même, tout disparaît. Et lorsque parviennent à ton oreille les échos d’une vaste lutte, tout cela exerce son action, et l’on se trouve en présence d’une victoire morale intérieure complète de l’URSS sur ses adversaires mis à genoux. Un hasard m’a mis entre les mains un livre de la bibliothèque de la prison, celui de Feuchtwanger, où l’on parlait des procès des trotskistes. Il a fait sur moi une grande impression. Mais je dois dire que Feuchtwanger n’a pas touché le fond, il s’est arrêté à mi-chemin. Tout n’est pas clair pour lui, alors que tout est clair dans la réalité. L’histoire mondiale est un tribunal universel. Des groupes de leaders du trotskisme ont fait faillite, et ils ont été jetés dans la fosse. C’est juste. Mais on ne saurait procéder comme le fait Feuchtwanger, notamment en ce qui touche Trotski, lorsqu’il le place sur le même plan que Staline. Ici ces développements sont tout à fait erronés. Car, en réalité, le pays entier est derrière Staline. Il est l’espoir du monde, il est le créateur. Napoléon avait dit un jour : la destinée, c’est la politique. La destinée de Trotski, c’est la politique contre-révolutionnaire.
Je vais en avoir fini. Je parle peut-être pour la dernière fois de ma vie.
Je veux expliquer comment je suis arrivé à la nécessité de capituler devant le pouvoir judiciaire et devant vous, citoyens juges. Nous nous sommes dressés contre la joie de la vie nouvelle, avec des méthodes de lutte des plus criminelles. Je rejette l’accusation d’avoir attenté à la vie de Vladimir Illitch, mais mes complices en contre-révolution, moi, à leur tête, nous avons tenté de tuer l’œuvre de Lénine continuée par Staline avec un succès prodigieux. La logique de cette lutte, s’entourant d’idées, nous faisait descendre degré par degré dans plus noir bourbier. Il a été prouvé une fois de plus que l’abandon de la position du bolchévisme marque le passage au banditisme contre-révolutionnaire politique. Aujourd’hui, le banditisme contre-révolutionnaire est écrasé ; nous avons été battus, nous nous sommes repentis de nos crimes horribles.
Certes, il ne s’agit pas de repentir, non plus que de mon repentir à moi. La Cour peut, même sans cela, rendre son verdict. Les aveux des accusés est un principe juridique moyenâgeux. Mais il y a là une défaite intérieure des forces de contre-révolution ; et il faut être Trotski pour ne pas désarmer. Mon devoir est de montrer ici que, dans le parallélogramme des forces qui ont formé la tactique contre-révolutionnaire, Trotski a été le principal moteur du mouvement. Et les positions les plus violentes – le terrorisme, l’espionnage, le démembrement de l’URSS, le sabotage – provenaient en premier de cette source-là.
A priori, je puis résumer que Trotski et mes autres alliés dans ces crimes, ainsi que la IIe Internationale, d’autant plus que j’en ai parlé avec Nikolaïesky, chercheront à nous défendre, moi surtout. Je rejette cette défense, car je me tiens à genoux devant le pays, devant le Parti, devant le peuple tout entier. La monstruosité de mes crimes n’a pas de bornes, surtout dans cette nouvelle étape de la lutte de l’URSS. Puisse ce procès être la dernière et pénible leçon, et que tout le monde voie que la thèse contre-révolutionnaire de l’étroitesse nationale de l’URSS demeure suspendue dans l’air, comme une misérable chiffre. Tout le monde voit la sage direction du pays, assurée par Staline.
C’est avec ce sentiment que j’attends le verdict. La question n’est pas dans les tribulations personnelles d’un ennemi repenti, mais dans l’épanouissement de l’URSS, dans son importance internationale. (III, p. 825-827)