Discours prononcé à l’occasion de la remise du prix Lénine pour la paix et la compréhension entre les peuple, Mai 1955

bertolt_brecht_19-2.jpgC’est un des étonnants usages de l’Union soviétique, cet État hautement étonnant, que de distinguer chaque année quelques personnes pour leurs efforts en faveur de la paix mondiale.

Le prix remis à cette occasion me semble le plus noble et le plus désirable de tous les prix aujourd’hui décernés.

Quoi qu’on cherche à leur faire accroire, les peuples le savent bien : la paix est l’alpha et l’oméga de toutes les activités sociales, de toute production, de tous les arts, y compris l’art de vivre.

J’avais dix-neuf ans quand j’entendis parler de votre grande révolution, vingt quand j’aperçus dans mon pays les reflets de ce grand feu. J’étais infirmier militaire dans un hôpital d’Augsbourg.

Les casernes et même les hôpitaux se vidèrent, la vieille cité se remplit soudain d’une foule nouvelle, arrivant en cortèges des faubourgs, créant une animation que les rues des riches, des bureaux et des commerçants n’avaient jamais connue.

Pendant quelques jours, des femmes d’ouvriers prirent la parole dans les Conseils rapidement improvisés et lavèrent la tête à de jeunes travailleurs en vareuse militaire, tandis que les usines résonnèrent des ordres des ouvriers.

Quelques jours, mais quels jours !

Partout des combattants, mais en même temps des gens pacifiques, constructifs !

Les combats, vous le savez, n’ont pas conduit à la victoire, et vous savez aussi pourquoi.

Dans les années qui suivirent, sous la République de Weimar, la lecture des classiques du socialisme, revivifiés par le grand Octobre, et les relations sur la nouvelle société que vous aviez audacieusement entrepris d’édifier, m’ont lié envers ces idéaux et enrichi de savoir.

La plus importante de ces leçons disait que l’avenir de l’humanité n’était visible que « d’en bas », de la perspective des opprimés et des exploités.

C’est seulement en partageant leur combat que l’on combat pour l’humanité.

Une guerre gigantesque venait d’avoir lieu, une autre plus gigantesque encore se préparait.

D’ici, d’en bas, les causes dissimulées de ces guerres se dévoilaient.

C’était la même classe qui devait tout payer, les défaites comme les victoires. Ici, dans les profondeurs, la paix aussi avait l’aspect d’une guerre.

Au cœur de la sphère productive et partout dans cette sphère de la production régnait la violence, violence ouverte du fleuve qui rompt ses digues, violence secrète des digues qui le retiennent.

La question n’était pas seulement de savoir si l’on fabriquait des canons ou des charrues – dans les guerres pour le prix du pain, les charrues sont les canons.

Et dans la perpétuelle et inexpiable lutte des classes pour la propriété des moyens de production, les époques de paix relative ne sont que des époques d’épuisement.

La réalité n’est pas qu’un élément guerrier destructeur interrompe sans cesse la production, mais que la production elle-même se fonde sur un élément destructeur et guerrier.

Toute leur vie, les hommes luttent sous le capitalisme pour l’existence – les uns contre les autres.

Les parents luttent pour leurs enfants, les enfants pour l’héritage, le petit commerçant pour sa boutique contre l’autre petit commerçant, et tous contre le gros commerçant.

Le paysan lutte contre le citadin, les élèves contre le professeur, le peuple contre les autorités, les usines contre les banques, les trusts contre les trusts. Comment à la fin les peuples n’en viendraient-ils pas à lutter contre les peuples ?

Les peuples qui ont conquis de haute lutte une économie socialiste occupent une position merveilleuse en ce qui concerne la paix.

L’énergie des hommes devient pacifique ; le combat de tous contre tous, le combat de tous pour tous.

Qui sert la société sert ses propres intérêts. Qui sert ses intérêts sert la société.

Ceux qui se rendent utiles sont heureux, et non plus ceux qui se rendent nuisibles.

Le progrès cesse de se présenter comme un avantage sur autrui et les connaissances, loin d’être refusées à quiconque, sont rendues accessibles à tous. Les nouvelles inventions peuvent être accueillies avec espoir et joie, et non plus dans la crainte et l’épouvante.

J’ai moi-même vécu deux guerres mondiales.

Aujourd’hui, au seuil de la vieillesse, je sais qu’à nouveau un conflit monstrueux se prépare. Cependant, un quart du monde est maintenant pacifié.

Et dans d’autres régions, les idées socialistes sont en marche.

Le désir de paix des hommes simples est partout profond.

Dans les professions intellectuelles, beaucoup luttent pour la paix, également dans les pays capitalistes, avec différents degrés de connaissance.

Mais notre meilleur espoir de paix repose sur les ouvriers et les paysans des États dont ils sont maîtres aussi bien que de ceux qui appartiennent au capitalisme.

Vive la paix ! Vive votre grand État pacifique, l’État des ouvriers et des paysans !

Mai 1955


Revenir en haut de la page.