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« Réaliste veut dire : qui dévoile la causalité complexe des rapports sociaux ; qui dénonce les idées dominantes comme les idées de la classe dominante ; qui écrit du point de vue de la classe qui tient prêtes les solutions les plus larges aux difficultés les plus pressantes dans lesquelles se débat la société des hommes ; qui souligne le moment de l’évolution en toute chose ; qui est concret tout en facilitant le travail d’abstraction. »
(Brecht, Popularité et réalisme)
Bertolt Brecht est mort il y a soixante-quatre ans, le 14 août 1956. Il a été une figure majeure du réalisme socialiste, selon lequel « l’écrivain est l’ingénieur des âmes », en écrivant des œuvres et en expliquant inlassablement les méthodes correctes pour devenir un artiste au service des masses.
Auteur de 48 pièces de théâtre, 2334 poèmes et de nombreuses œuvres en prose, Brecht a sans cesse combattu contre l’art visant à manipuler les masses en jouant sur la corde de l’émotion en s’appuyant sur l’illusion et le « pittoresque. »
Il a ainsi apporté une contribution énorme au réalisme socialiste en définissant le théâtre épique, par opposition au théâtre tragique, défini par Aristote et prônant les émotions comme la « terreur » associée à la « pitié ». Des émotions il en faut, mais ce qu’il ne faut pas, c’est que le public s’identifie à un « héros », car ce sont les masses qui font l’histoire et sont les véritables héros.
En Belgique, à l’athénée, au collège, le théâtre tragique est insufflé systématiquement aux masses avec Racine et Corneille, ces « classiques » de la littérature française qui mettent en scène les attitudes héroïques de membres de la royauté assassinant pour l’honneur de la patrie ou subissant le destin avec « dignité » et que l’on est censé admirer tout en vivant avec eux leurs destins « uniques. »
Aux héros invincibles de ces auteurs féodaux, Brecht montre la difficulté de se battre pour la vérité, comme avec La vie de Galilée, il ne propage pas les illusions sur le destin.
A l’opposé de toutes les manipulations émotionnelles prônée par la tragédie, il a mis en avant le principe de la « distanciation », qui elle seule peut permettre au public de la pièce de penser par lui-même, de tirer un bilan de l’expérience qu’il fait. C’est toute la question de la culture, des valeurs éthiques ; comme le dit Brecht :
« Les émotions ont toujours un fondement de classe très précis; la forme sous laquelle elles manifestent est toujours historique, spécifiquement limitée, située et datée ; les émotions ne sont nullement le fait de « l’humanité éternelle », hors du temps. » (Le théâtre épique veut-il supprimer l’émotion ?)
Brecht a également systématiquement puisé dans les œuvres populaires déjà existantes, de la Finlande à la Chine, pour s’inspirer et produire ses œuvres, comme par exemple la « Bonne âme du Sichuan » ou « Mère Courage et ses enfants ». Il n’a jamais caché qu’il « produisait » à partir de la réalité, de la vie des masses et de leur culture, de leur vécu, au contraire des pseudos artistes bourgeois qui eux prétendent « créer. »
Il rend ainsi définitivement caduc le pitoyable théâtre psychologique simpliste de Molière, critique superficielle et véritable supercherie dans sa pseudo mise en valeur des contradictions existantes dans la société. Le personnage de l’avare est bien misérable comparé au personnage de Puntila dans « Maître Puntila et son valet Matti », où toute la schizophrénie de l’être humain capitaliste est impitoyablement montré dans son rapport avec les prolétaires.
Est-ce à dire que Molière ne vaut rien ? Non, il a été un grand, mais le Molière mis en avant comme actuel par la bourgeoisie n’a aucun sens, et Brecht a eu raison d’arracher Molière le critique féodal à la bourgeoisie pour le réactualiser, comme en 1952 lorsqu’il a repris Don Juan pour une mise en scène révolutionnaire.
Voilà le sens de mettre l’art au service des masses ! Ce qui compte, c’est que l’art soit là pour les masses ! C’est parce qu’il part de ce principe que Brecht dit :
« Dans l’intérêt des travailleurs de tous les pays, de tous les exploités et opprimés, on doit adresser aux écrivains un appel pour un réalisme militant. Seul un réalisme impitoyable, dissipant tous les rideaux de fumée qui voilent la vérité, c’est-à-dire l’exploitation et l’oppression, peut dénoncer et discréditer l’exploitation et l’oppression du capitalisme. »
Naturellement, Brecht n’a cessé de rentrer en conflit avec ceux qui niaient les contradictions sociales − non seulement dans les pays capitalistes, mais également dans les pays socialistes.
Dans les pays capitalistes, Brecht a été rejeté comme un paria, avant d’être naturellement porté aux nues. Pour le cinquantenaire de sa mort, c’était la Deutsche Bank qui sponsorisait alors « L’Opéra de quat’sous », pièce où l’un des protagonistes dit :
« Qu’est-ce que le pillage d’une banque comparé à la création d’une banque ? »
Brecht connaissait ce phénomène, il disait :
« Le capitalisme a le pouvoir de transformer en drogue, immédiatement et continuellement, le venin qui lui est lancé au visage, et de s’en délecter »
La bourgeoisie ne pouvait pas laisser Brecht de côté, en tant qu’arme pour les masses, il fallait cacher la force de son oeuvre, et la récupération de Brecht et la mise en avant de ses œuvres les moins directement « politiques » a grandement été facilitée en Belgique par les opportunistes, comme ces artistes proches du Parti « Communiste » de Belgique qui avaient alors depuis longtemps rejoint les rangs du réformisme tout en aimant se présenter comme le parti de la culture.
Dans les pays socialistes s’est déroulé le même phénomène : on voulait Brecht comme icône, pas comme soutien à une révolution culturelle. La jeune République Démocratique Allemande s’idéalisait déjà comme pays sans contradictions et mettait Brecht de côté, comme l’ont fait les théoriciens soi-disant favorables au réalisme socialiste, mais en fait véritables bourgeois tentant de transformer l’art de la révolution en apologie sans contenu.
Brecht n’a eu donc de cesse de combattre Lukacs, véritable apôtre du révisionnisme par la suite dans les années 1950-1960 et qui en véritable traître tenta de réduire Brecht à un simple trouble-fête avec son texte à la mort de Brecht intitulé : « Il a su provoquer des crises salutaires… » où il assimile même le théâtre de Brecht aux conceptions d’Aristote !
Non, les communistes ne sont pas là pour « empêcher de tourner en rond », ils ne sont pas là pour jouer avec les émotions et « rassurer », ils sont là pour guider les masses vers le communisme dans la lutte révolutionnaire !
A ce titre, Brecht est le véritable théoricien du réalisme socialiste. Il a pris le concept développé par le Parti Communiste d’URSS (bolchévik) et l’a assumé en tant qu’artiste, dans une pleine compréhension de ses significations esthétiques et politiques.
« Ce serait dénaturer effroyablement le grand mot d’ordre du Réalisme socialiste que de vouloir transposer mécaniquement la formule stalinienne : socialiste par le contenu, national par la forme, qui s’appliquait à la politique des nationalités, ce qui donnerait quelque chose comme : socialiste par le contenu, bourgeois par la forme.
Dans la politique des nationalités, la formule : national par la forme est intégralement révolutionnaire.
Elle revient à libérer les nations enchaînées de leurs chaînes, à stimuler les forces productives des nations retardataires ; elle signifie que des nations opprimées entendaient le langage du socialisme dans leur langue maternelle ; elle libérait les puissances culturelles.
La formule : bourgeois par la forme serait tout simplement réactionnaire ; elle reviendrait banalement au dicton : « Verser du vin nouveau dans de vieilles outres ».
L’attitude sage de Staline face à Maïakovski [Lénine n’aimait pas l’oeuvre de Maïakovski et c’est Staline qui a affirmé qu’il était criminel de ne pas connaître son oeuvre], destructeur de formes de première grandeur, et son intéressante formule : les écrivains, ingénieurs des âmes devraient suffire à mettre en garde nos critiques contre des généralisations et transpositions boiteuses de ce genre. »
Sur ce front culturel Brecht a été un inlassable combattant. Le film « Kuhle Wampe » (« panses glacées ») qu’il a écrit est un modèle militant.
On est loin du Brecht aseptisé aux mises en scènes pacifiées mise en avant par les metteurs en scène embourgeoisés ! Tout comme on est loin de ces artistes vendus à la culture façonnée par l’idéologie bourgeoise, qui prétendent être un rempart culturel au profit alors qu’ils sont les laquais de l’idéologie bourgeoise.
La bourgeoisie aimerait réduire Brecht à un auteur intégré à la culture bourgeoisie et faire de L’opéra de quat’sous une oeuvre pittoresque amusant la bourgeoisie. Mais elle ne le peut pas car la vie et l’oeuvre de Brecht sont le patrimoine du prolétariat international, prolétariat à qui Brecht a donné la définition la plus élaborée du réalisme socialiste :
« Ce qu’est le réalisme socialiste, il ne faudrait pas le demander simplement aux œuvres ou aux styles qui existent. Ce qui devrait servir de critère, ce n’est pas le fait que telle oeuvre ou tel style ressemblent à d’autres œuvres ou à d’autres styles classés dans le réalisme socialiste, mais le fait qu’ils sont socialistes et réalistes.
1 L’art réaliste est un art de combat. Il combat les vues fausses de la réalité et les tendances qui sont en conflit avec les intérêts réels de l’humanité.
Il rend possibles des vues justes et renforce les tendances productives.
2 Les artistes réalistes mettent l’accent sur ce qui appartient au monde sensible, sur ce qui est « de ce monde », sur ce qui est typique au sens profond du mot (ce qui a une signification historique).
3 Les artistes réalistes mettent l’accent sur le facteur du devenir et du dépérissement des choses.
Dans tous leurs ouvrages ils pensent historiquement.
4 Les artistes réalistes représentent les contradictions qui existent chez les hommes et dans leurs rapports réciproques, et montrent les conditions dans lesquelles elles se développent.
5 Les artistes réalistes s’intéressent aux changements qui s’opèrent chez les hommes et dans leurs rapports, aux changements continus et aux changements soudains auxquels aboutissent les changements continus.
6 Les artistes réalistes décrivent le pouvoir des idées et le fondement matériel des idées.
7 Les artistes réalistes-socialistes sont humains, en d’autres termes amis des hommes, et ils représentent les rapports humains de telle sorte que les tendances socialistes s’en trouvent renforcées.
Elles s’en trouvent renforcées grâce à une façon pratique de scruter la machine sociale et grâce au fait qu’elles deviennent des sources de plaisir.
8 Les artistes réalistes-socialistes n’ont pas une attitude réaliste seulement à l’égard de leurs sujets, mais aussi à l’égard de leur public.
9 Les artistes réalistes-socialistes tiennent compte du degré de culture de leur public et de son appartenance à telle ou telle classe, comme aussi du point où en est la lutte de classes.
10 Les artistes réalistes-socialistes traitent la réalité du point de vue de la population laborieuse et de ses alliés intellectuels qui sont pour le socialisme. »
C’est grâce à cette compréhension de la dialectique dans le domaine artistique et politique que Brecht a pu constater le développement du révisionnisme sur le plan culturel, et donc politique.
Son analyse du révisionnisme dans les pays impérialistes est une annonce des luttes des années 1960 contre le révisionnisme :
« Au sein du prolétariat se manifeste à la longue une contradiction de plus en plus violente.
Une fraction des travailleurs, dans certains pays une importante partie d’entre eux, voire la majorité, tient fortement à l’ordre existant et s’accommode de l’exploitation, du moins aussi longtemps que le niveau de vie semble relativement supportable ou améliorable.
Or la révolution est accompagnée de difficultés considérables, de périls, d’un bouleversement des habitudes, etc. Surtout, les travailleurs qui y aspirent doivent s’engager dans une action de guerre contre la bourgeoisie et se soumettre à une discipline stricte et sévère pour mener un combat extrêmement dur.
Aussi asservis soient-ils par le capitalisme, ils reculent devant cette discipline, ils ressentent la soumission à une organisation de fer et à des commandements militaires, sans lesquels le combat pour sa liberté reste sans issue, comme une privation de liberté plus grave encore, à cause de sa nouveauté insolite.
Ils en arrivent ainsi à soutenir la bourgeoisie, leur exploiteuse, dans sa lutte contre l’autre fraction des travailleurs, et à entrer directement en conflit avec ces derniers.
Cette contradiction au sein du prolétariat se développe différemment dans les différents pays. Dans certains, la fraction du prolétariat qui marche avec la bourgeoisie – tout en restant impliquée dans de nombreux conflits avec elle – est plus importante qu’ailleurs.
Elle est plus importante, par exemple, partout où de puissantes forces productives peuvent se déployer sans entrave, comme aux USA, car la bourgeoisie, sous la pression de la concurrence, est obligée pendant toute une période d’élever sans cesse le niveau de vie des masses.
Ou encore dans les pays qui utilisent les travailleurs à l’exploitation des territoires coloniaux, comme l’Angleterre ou d’autres nations colonisatrices » (1954).
Brecht est un auteur classique du communisme en ce qui concerne les questions artistiques; il montre toute la signification de la culture dans la bataille pour la révolution.
Pour cette raison, les communistes authentiques célèbrent avec ferveur le nom de Bertolt Brecht, défendent avec fierté son combat et appellent les combattants du front de la culture à reprendre le fil rouge de ce grand essor critique réaliste-socialiste au service des masses.
Élever le niveau de ce qui est populaire, populariser ce qui est de niveau élevé. Pour la révolution.