La compréhension du baroque exige une vision précise de la situation propre à chaque pays, sans quoi on arrive à des contradictions patentes. Un exemple « classique » d’erreur complète des commentateurs bourgeois en France concerne le tableau « Les ambassadeurs », de l’allemand Hans Holbein le jeune (1497-1543).
Selon eux, en effet, l’anamorphose – avec un crâne déformé « caché » au premier plan – fait que ce tableau serait « baroque ». Ce n’est nullement le cas.
En réalité, ce crâne est une allusion à la devise d’un des deux ambassadeurs représentés. Jean de Dinteville avait en effet comme devise « memento mori » (souviens-toi que tu vas mourir), et le globe terrestre à l’arrière-plan est centré sur l’Europe et indique même Policy, c’est-à-dire Polisy, le petit domaine de Jean de Dinteville.
Par ailleurs, les partitions de musique qu’on a dans le tableau sont de Johann Walther, le premier à avoir établi des hymnes protestants pour les prières. Enfin, l’autre ambassadeur est Georges de Selve, un religieux traducteur de Plutarque à la demande de François Ier, dont il est un proche ; il faut se rappeler ici que François Ier inaugure le processus menant à la monarchie absolue, et qu’il arrache de très nombreuses prérogatives au Vatican.
Jean de Dinteville est d’ailleurs ambassadeur d’Angleterre au moment de ce tableau, pays où justement dans les années qui suivent la peinture de ce tableau (qui date de 1533), le roi Henri VIII renverse l’Église catholique pour donner naissance à l’Église anglicane, contrôlée par la monarchie. On est donc extrêmement loin de l’esprit du baroque.
On peut comprendre cette question des rapports de force au moyen d’une œuvre de Hans Holbein le jeune. On peut y voir la « lumière du Christ », que comprennent réellement les protestants. Les catholiques, par contre, s’en éloignent, ainsi qu’Aristote.
La présence d’Aristote désigne bien entendu l’averroïsme politique. Hans Holbein le jeune s’est mis au service de celui-ci, en pratique, puisqu’il rejoindra la cour d’Angleterre, où il connaîtra divers déboires. Cependant, ce qui compte ici, c’est qu’il y a une incompréhension française du double jeu des monarchies anglaise et française.
Comme la monarchie anglaise a fini par abandonner le catholicisme, la chose est mieux comprise, même si elle est attribuée de manière ridicule à l’envie du roi de se remarier – comme si un roi allait renverser la religion dominante et en établir une nouvelle simplement pour cela.
Pour la France, par contre, le processus est totalement incompris. Et ce qui est appelé « baroque » est le fruit de cette incompréhension de la position de la monarchie absolue.