BACON Francis (1561-1626). Eminent philosophe anglais, ancêtre du « matérialisme anglais et de toute science expérimentale moderne » (Marx/Engels : Gesamtausgabe, Erste Abteilung, Bd. 3, B. 1932, S. 304.). Convaincu que la scolastique et la théologie entravaient le progrès de la science, Bacon a soumis la philosophie médiévale à une critique sévère.

Dans sa lutte pour la connaissance scientifique, il disait que « la vraie philosophie » devait avoir un caractère « pratique », c’est-à-dire se fonder sur l’analyse des phénomènes de la nature et les données de l’expérience.

Il voyait la source de toute connaissance dans la sensation et désignait la nature, la matière, comme l’objet de la recherche. Marx a souligné que, pour lui, « les sens sont infaillibles et constituent la source de toute connaissance. La science est une science expérimentale qui consiste dans l’application de la méthode rationnelle aux données des sens. Induction, analyse, comparaison, observation, expérimentation, telles sont les conditions essentielles d’une méthode rationnelle » (Ibid.).

L’homme ne peut connaître et soumettre la nature qu’ « en lui obéissant », c’est-à-dire en se conformant à ses lois. La nature est engagée dans un mouvement qui est sa propriété immanente. Bacon reconnaissait la diversité qualitative du mouvement de la matière, qu’il ne réduisait pas au déplacement mécanique des objets dans l’espace.

Cependant, en raison des conditions historiques et du niveau de la science à son époque, il n’a pas pu résoudre le problème des formes du mouvement de la matière. Dans l’ensemble, sa philosophie est mécaniste. Sa classification des formes du mouvement (il en comptait dix-neuf) est artificielle et antiscientifique.

Bacon a été le premier à élaborer de façon détaillée la méthode inductive. Le point de départ de la connaissance est, selon lui, la liaison causale, l’analyse des divers objets et phénomènes ; toute vérité authentique doit s’appuyer sur le plus grand nombre de faits possible ; en les confrontant, l’homme a la possibilité de s’élever du particulier, de l’individuel, au général, aux conclusions. Sans nier la nécessité de la pensée abstraite, il ne comprenait pas le vrai rôle de cet aspect de la connaissance, il sous-estimait la déduction. Sa méthode gnoséologique est métaphysique.

L’œuvre maîtresse de Bacon « Novum Organum » (1620) qu’il a intitulée ainsi pour la distinguer de l’« Organon » d’Aristote, critique à fond les conceptions scolastiques, analyse les idées fausses qui entravent le progrès de la science. Bacon divise ces idées illusoires et superstitieuses en quatre groupes de « fantômes » (idoles) : « fantômes de la race », « fantômes de la caverne », « fantômes de la place publique » et « fantômes du théâtre ».

Les « fantômes de la race » prennent leur source dans la nature de l’esprit humain : « L’entendement humain est semblable à un faux miroir qui, mêlant sa propre nature à celle des choses, déforme et défigure les images qu’il réfléchit. »

Les « fantômes de la caverne » sont ceux de l’individu et dépendent de son éducation, de ses goûts, de ses habitudes, de son entourage. Les « fantômes de la place publique » sont apparus du fait que les hommes unis par le langage, se servent de mots qui correspondent au niveau de la foule. Les « fantômes du théâtre » sont engendrés par les différents systèmes philosophiques erronés, idéalistes surtout.

Bacon n’était pas un matérialiste conséquent. Sa doctrine, suivant l’expression de Marx, n’est pas encore débarrassée de l’ « inconséquence théologique ». Il admettait à la fois l’éternité de la matière et l’existence de Dieu.

Il proclamait la dualité de la vérité : la révélation qui est du domaine de la théologie et la causalité qui est de celui de la science. Aussi prêtait-il deux âmes à l’homme : une âme pensante, rationnelle, et une autre, de nature sensible et irrationnelle. La première est créée par Dieu, tandis que l’autre est matérielle, corporelle.

Le matérialisme de Bacon côtoie donc la théologie, la religion, quoique cette dernière ne joue guère dans sa philosophie le rôle principal. Sa classification des sciences, fondée sur les différentes « facultés de l’âme » (mémoire, imagination, entendement), est idéaliste.

Bacon aborde la société également en idéaliste. Ses vues sociales et politiques reflètent les intérêts de la grande bourgeoisie anglaise et de la noblesse embourgeoisée. Il a soutenu activement l’expansion de la Grande-Bretagne, l’idée de sa domination mondiale, la conquête des Indes. Il considérait la monarchie absolue comme la meilleure forme de l’Etat. D’après lui, le peuple est une source de troubles.

Malgré les contradictions et inconséquences qui abondent dans sa philosophie, malgré sa tendance à concilier la science et la religion, les idées de Bacon ont joué un grand rôle dans le développement de la philosophie prémarxiste. Elles ont exercé une influence considérable sur les philosophes matérialistes Hobbes (V.) et Locke (V.), et sur les matérialistes français du XVIIIe siècle.
Principaux ouvrages : « Novum Organum » et « De principiis atque originibus ».

BACON Roger (vers 1214-1294). Penseur anglais du moyen âge, idéologue avancé de l’artisanat urbain, hardi promoteur de la science expérimentale. Bacon a flétri les mœurs, l’idéologie et la politique féodales. Quoique inconséquente, sa doctrine avait une tendance nettement matérialiste. Adversaire de la scolastique, il a préconisé l’étude expérimentale de la nature.

Aux dogmes figés, il a opposé la libre recherche et la rénovation de la science. Il estime que toutes les connaissances ont pour objet l’accroissement du pouvoir de l’homme sur la nature pour le bien de l’humanité.

L’étude approfondie de l’antiquité et de la science arabe lui a permis d’énoncer quelques audacieuses hypothèses scientifiques et techniques, malgré ses préjugés alchimiques et astrologiques. Au déclin de sa vie, il a été jeté dans une prison monastique pour ses opinions avancées.

BAKOUNINE Mikhaïl Alexandrovitch (1814-1876). Anarchiste, ennemi du marxisme et du socialisme scientifique. Idéaliste hégélien, éloigné de la politique dans sa jeunesse, il tourne peu à peu vers le radicalisme petit-bourgeois.

En 1840, il part une première fois pour l’étranger. Ses conceptions anarchistes sa précisent dans les années 60, lors de sa seconde émigration, après se fuite de Sibérie. En 1872, il fut exclu de la 1re Internationale pour ses attaques anarchistes contre le marxisme en tant que théorie et tactique du mouvement ouvrier.

Les idées philosophiques et sociologiques de Bakounine, sur lesquelles il fondait son anarchisme, constituaient un mélange de matérialisme (sa conception de la nature), d’idéalisme et de métaphysique (sa conception de la société).

Comme l’indiquaient Marx et Engels, la théorie anarchiste de Bakounine était d’un extrême éclectisme. Sa vision de la société future associe l’idée de la propriété collective, trait caractéristique de la société communiste, à l’idée anarchiste proudhonienne de la liberté absolue de l’individu, qui représente pour lui l’objectif suprême de l’évolution de l’humanité.

Bakounine emprunte à Saint-Simon (V.) l’idée de l’abolition du droit de succession dont il fait le point de départ de la refonte sociale.

Bakounine ajoute à ce mélange l’idée de l’égalisation politique, économique et sociale des classes. Marx soumit à une critique implacable cette fiction bourgeoise ; il montra que « l’égalitarisme social » n’était rien d’autre que l’idée de « l’harmonie entre le Capital et le Travail ».

Ce que Bakounine emprunte surtout à Proudhon, c’est la négation anarchiste de l’Etat et de la lutte politique. « La théorie de Bakounine, écrivait Engels, est bien singulière.

C’est du proudhonisme mêlé à du communisme. Et l’essentiel dans son proudhonisme est cette idée que le mal essentiel à supprimer, c’est l’Etat et non pas le Capital, ni, par conséquent, l’antagonisme de classe entre les capitalistes et les ouvriers salariés, antagonisme qui résulte de l’évolution sociale » (Marx-Engels : Ausgewählte Briefe, B 1953, S. 327).

Bakounine attaquait avec acharnement la doctrine de Marx sur la lutte de classe et la dictature du prolétariat. A la lutte politique des ouvriers pour leur dictature, instrument de construction de la société communiste, il opposait la « lutte sociale », la « révolution sociale » qu’il considérait comme la « destruction immédiate de l’Etat », comme la « révolte » spontanée des éléments déclassés et de la paysannerie, ouvrant d’un seul coup, selon la remarque sarcastique de Marx, la porte du « paradis anarchiste-athéiste-communiste ».

Bakounine niait pour la Russie la nécessité de passer par l’étape du capitalisme. Sa doctrine fut une des sources d’inspiration du populisme (V.). Marx et Engels firent une critique écrasante de la théorie de Bakounine et de son activité désorganisatrice dans le mouvement ouvrier européen ; ils mirent à nu l’essence petite-bourgeoise du bakouninisme, ennemi du socialisme prolétarien.

Lénine et Staline condamnèrent définitivement la théorie et la pratique de l’anarchisme et démasquèrent dans leurs ouvrages les anarchistes comme des ennemis du marxisme qui se couvrent du drapeau socialiste.


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