L’art contemporain a une conception exactement similaire à celle du situationnisme. Considérant que dans la société industrielle une œuvre d’art ne peut plus exister de manière authentique, l’art contemporain met en avant des expériences, des situations.
C’est pour cela que l’art contemporain consiste en des happenings, des installations, des choses bizarres : afin soi-disant de rester authentique.
Le prétendu artiste belge Wim Delvoye a ainsi réalisé Cloaca, une machine avec des cloches en verre s’étalant sur 12 mètres de long, 2,8 mètres de large et 2 mètres de haut. On met de la nourriture d’un côté et de l’autre ressortent des excréments.
Bien entendu il existe des variantes : une version turbo utilisant des machines à laver, une version censée être végétarienne, etc. etc.
Et naturellement il y a, allant avec, tout un pseudo discours intellectuel sur une réflexion sur le temps présent, la nature des choses, etc. etc.
L’art contemporain fonctionne à « l’intervention ». C’est exactement comme cela que les situationnistes voyaient les choses, ou encore les surréalistes, André Breton expliquant que
« L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tout ce qu’on peut dans la foule.»
Les matériaux employés sont donc toujours plus décadents, témoignant d’un rapport toujours plus pervers à la nature : des excréments, du sang, des animaux morts ou vivants, son propre corps, etc.
Marina Abramovic et Ulay se sont ainsi collés les bouches, respirant l’un à travers l’autre alors que des microphones collés avec des adhésifs sur leurs gorges enregistraient la « performance ». John Cage fit mettre en scène un pianiste jouant 4 minutes et 33 secondes de… silence.
Par définition, l’art contemporain se veut « transgressif ». Sa seule légitimité est de « transcender » la réalité, d’atteindre une vérité qui, par définition, relève de l’au-delà, de la métaphysique.
Le fascisme n’est jamais loin et il est facile de voir comment les blogs nazis regorgent de photographies sado-masochistes. On est dans le culte du dépassement de soi, tout à fait conforme au noyau idéaliste originel de l’idéologie fasciste, qui prétend renier la matière, le matérialisme, au nom de l’idéal « transcendant ».
Conformément à ce subjectivisme le plus complet, l’art contemporain se veut uniquement individuel : il serait une réflexion personnelle, une sensation personnelle, on peut le comprendre comme on veut, personne ne peut juger, tout le monde peut être artiste, etc.
L’art contemporain, c’est l’idéologie selon laquelle sans culture, en prenant des matériaux comme bon nous semble, en les assemblant « comme on le sent », on aboutirait à une « œuvre d’art », c’est-à-dire un objet « inutile » (à l’opposé de la marchandise), mais personnel.
La grande référence intellectuelle ici est L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, écrit par l’allemand Walter Benjamin, un proche de Theodor W. Adorno, dans les années 1930, mais connu dans les années 1950.
Walter Benjamin était en partie marxiste, et en partie idéaliste, sa réflexion est partagée entre un idéalisme pavant la voie à l’art contemporain, et une critique sincère du capitalisme, de la guerre impérialiste et du fascisme.
Walter Benjamin considère en effet qu’avec l’industrie de masse, l’oeuvre d’art a perdu son « authenticité », car elle peut être reproduite. C’est une lecture totalement idéaliste de l’oeuvre d’art comme unique, idéale.
Il reproche aux masses, dans un argument traditionnel du fascisme, de vouloir la culture mais, ce faisant, de détruire le caractère « authentique » des œuvres d’art. C’est la critique traditionnelle, élitiste, de la culture de masse.
Walter Benjamin appelle ce qui ressortirait du caractère authentique de l’oeuvre d’art « l’aura ». Il dit ainsi :
« Qu’est-ce en somme que l’aura ? Une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-il. L’homme qui, un après-midi d’été, s’abandonne à suivre du regard le profil d’un horizon de montagnes ou la ligne d’une branche qui jette sur lui son ombre – cet homme respire l’aura de ces montagnes, de cette branche. Cette expérience nous permettra de comprendre la détermination sociale de l’actuelle déchéance de l’aura. Cette déchéance est due à deux circonstances, en rapport toutes deux avec la prise de conscience accentuée des masses et l’intensité croissante de leurs mouvements. Car : la masse revendique que le monde lui soit rendu plus accessible avec autant de passion qu’elle prétend à déprécier l’unicité de tout phénomène en accueillant sa reproduction multiple.»
Il prend l’exemple du cinéma, expression sans aura du théâtre :
« Le fait pourrait aussi se caractériser comme suit : pour la première fois – et c’est là l’oeuvre du film – l’homme se trouve mis en demeure de vivre et d’agir totalement de sa propre personne, tout en renonçant du même coup à son aura. Car l’aura dépend de son hic et nunc. Il n’en existe nulle reproduction, nulle réplique.
L’aura qui, sur la scène, émane de Macbeth, le public l’éprouve nécessairement comme celui de l’acteur jouant ce rôle. La singularité de la prise de vues au studio tient à ce que l’appareil se substitue au public. Avec le public disparaît l’aura qui environne l’interprète et avec celui de l’interprète l’aura de son personnage.»
Cependant, Walter Benjamin était un démocrate authentique et il avait conscience que sa lecture pouvait basculer dans la critique réactionnaire. Aussi dit-il deux choses contradictoires : que le film, théâtre sans aura, peut effectivement produire des œuvres de masse (comme avec Charlie Chaplin), et donc cela est bien, et en même temps il dit que les masses sont réactionnaires sur le plan de la peinture.
L’art contemporain ne dit pas la même chose : il laisse le cinéma aux productions hollywoodiennes de masse, et lui se présente comme tourné vers une élite…
Voici ce que dit Walter Benjamin :
« La reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art modifie la façon de réagir de la masse vis-à-vis de l’art. De rétrograde qu’elle se montre devant un Picasso par exemple, elle se fait le public le plus progressiste en face d’un Chaplin.
Ajoutons que, dans tout comportement progressiste, le plaisir émotionnel et spectaculaire se confond immédiatement et intimement avec l’attitude de l’expert.
C’est là un indice social important. Car plus l’importance sociale d’un art diminue, plus s’affirme dans le public le divorce entre l’attitude critique et le plaisir pur et simple. On goûte sans critiquer le conventionnel – on critique avec dégoût le véritablement nouveau. Il n’en est pas de même au cinéma.
La circonstance décisive y est en effet celle-ci : les réactions des individus isolés, dont la somme constitue la réaction massive du public, ne se montrent nulle part ailleurs plus qu’au cinéma déterminées par leur multiplication imminente. Tout en se manifestant, ces réactions se contrôlent. Ici, la comparaison à la peinture s’impose une fois de plus. Jadis, le tableau n’avait pu s’offrir qu’à la contemplation d’un seul ou de quelques-uns.
La contemplation simultanée de tableaux par un grand public, telle qu’elle s’annonce au XIXe siècle, est un symptôme précoce de la crise de la peinture, qui ne fut point exclusivement provoquée par la photographie mais, d’une manière relativement indépendante de celle-ci, par la tendance de l’oeuvre d’art à rallier les masses.
En fait, le tableau n’a jamais pu devenir l’objet d’une réception collective, ainsi que ce fut le cas de tout temps pour l’architecture, jadis pour le poème épique, aujourd’hui pour le film. Et, si peu que cette circonstance puisse se prêter à des conclusions quant au rôle social de la peinture, elle n’en représente pas moins une lourde entrave à un moment où le tableau, dans les conditions en quelque sorte contraires à sa nature, se voit directement confronté avec les masses.
Dans les églises et les monastères du Moyen-Âge, ainsi que dans les cours des princes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la réception collective des oeuvres picturales ne s’effectuait pas simultanément sur une échelle égale, mais par une entremise infiniment graduée et hiérarchisée.
Le changement qui s’est produit depuis n’exprime que le conflit particulier dans lequel la peinture s’est vue impliquée par la reproduction mécanisée du tableau. Encore qu’on entreprît de l’exposer dans les galeries et les salons, la masse ne pouvait guère s’y contrôler et s’organiser comme le fait, à la faveur de ses réactions, le public du cinéma.
Aussi le même public qui réagit dans un esprit progressiste devant un film burlesque, doit-il nécessairement réagir dans un esprit rétrograde en face de n’importe quelle production du surréalisme.»
La position de Walter Benjamin était intenable : il fallait soit prendre le parti du réalisme socialiste, soit accepter en bloc ce qui allait devenir l’art contemporain.
En pratique, Walter Benjamin n’a fait qu’aider l’art contemporain, qui pour se placer financièrement, produit seulement des oeuvres censées être uniques en leur genre : comprenant l’enjeu, l’art contemporain produit des oeuvres non reproductibles, des installations, des toiles immenses, des oeuvres éphémères…