ABSTRACTION SCIENTIFIQUE (lat. abstractio — isolement). Opération par laquelle notre esprit, après avoir distingué les caractères essentiels d’un groupe de faits, les sépare des propriétés secondaires pour les généraliser. Les résultats de cette généralisation, qui se fait au moyen de l’abstraction scientifique, trouvent leur expression dans les notions et les catégories scientifiques. « Des mots comme matière et mouvement ne sont que des abréviations, dans lesquelles nous réunissons d’après leurs propriétés communes beaucoup de choses différentes, perceptibles par les sens » (Engels : « Dialectique de la nature », P. 1952, p. 238).
L’abstraction scientifique nous donne une idée plus ample et plus profonde de la réalité que les sensations immédiates. Lénine note que la représentation n’est pas à même, par exemple, de saisir un mouvement de 300 000 km à la seconde, tandis que la pensée en est capable.
Au moyen des abstractions scientifiques, la connaissance passe de la perception des choses isolées à la généralisation d’une masse de faits, en formulant des concepts, des catégories, des lois qui reflètent les liens essentiels, internes des phénomènes.
Seule la généralisation théorique permit à la pensée humaine de dégager l’essence des phénomènes, les lois de leur développement. Comme l’indique Lénine, la généralisation la plus élémentaire, la première et la plus simple formation de notions, approfondit la connaissance des rapports objectifs du monde.
Ainsi, l’observation directe donne l’impression que les prix des marchandises sur le marché capitaliste sont déterminés, en dernière analyse, par l’offre et la demande. En réalité ils sont fonction de la quantité de travail socialement nécessaire à la production de ces marchandises, autrement dit, de la valeur.
La notion de valeur élaborée par Marx au moyen d’une abstraction scientifique, reflète avec justesse et profondeur les rapports sociaux réels de la production marchande. Marx indique que « l’analyse des formes économiques ne peut s’aider du microscope et des réactifs fournis par la chimie; l’abstraction est la seule force qui puisse lui servir d’instrument » (« Le Capital », L. I, t. 1, P. 1938, p. 18).
L’énorme importance des abstractions, pour connaître l’essence des phénomènes, a été soulignée par Staline dans « Le marxisme et les problèmes de linguistique » (V.). Ainsi, le vocabulaire, pris en lui-même, ne constitue pas encore la langue.
C’est seulement lorsqu’il est mis à la disposition de la grammaire qu’il acquiert une importance considérable. La grammaire confère à la langue un sens cohérent. Faisant abstraction du particulier et du concret, dans les mots et les propositions, elle prend ce qu’il y a de général dans les modifications et les combinaisons des mots et en tire des règles, des lois grammaticales.
La grammaire est le résultat d’un long travail d’abstraction de la pensée humaine, l’indice d’immenses progrès de la pensée.
Conscients du grand rôle des abstractions scientifiques dans la connaissance du monde, les philosophes réactionnaires de nos jours luttent contre elles, nient que toute abstraction scientifique soit un reflet de l’essence objective des phénomènes dans la conscience.
Ils font valoir qu’il n’est pas possible de voir, de palper, de photographier les abstractions, comme c’est le cas pour les choses et les phénomènes concrets. Ils en viennent ainsi à nier la réalité de la matière, de la valeur, de la plus-value, etc. Les philosophes réactionnaires s’appliquent à dissimuler que les abstractions résultent de la généralisation des propriétés essentielles d’une masse de faits individuels. Les abstractions reflètent ce qu’il y a de général dans les objets, or le général n’a pas et ne peut pas avoir un aspect directement sensible. Le général n’existe que dans et par le particulier.
Critiquant les métaphysiciens qui séparaient le particulier et le général, Engels écrivait : « C’est toujours la vieille histoire. D’abord, on fait des abstractions des choses sensibles, et ensuite, on veut les connaître par voie sensible, on veut voir le temps et flairer l’espace » (« Dialectique de la nature », P. 1952, p. 238).
L’impossibilité de connaître le général autrement que par l’abstraction, ne signifie pas qu’il n’est pas réel, qu’il n’existe pas. La loi de la gravitation universelle ne peut être photographiée pas plus que la valeur, mais cela ne permet pas de nier sa réalité.
Il importe de distinguer les conceptions matérialiste et idéaliste de l’abstraction. L’abstraction scientifique, matérialiste, est diamétralement opposée à l’abstraction idéaliste qui détache la pensée humaine de la réalité objective.